Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
plus, Alexandre Adler et Emmanuel Chain qui ont été choisis 47 . Ce petit monde s’est retrouvé dans la salle des fêtes de l’Élysée avec un public nombreux, composé de jeunes assis sur des gradins. Les journalistes étaient juchés sur une sorte de podium dans un décor superbement éclairé.
Seulement voilà : une émission, c’est une alchimie, pas uniquement des réponses à des questions différentes posées les unes après les autres par des journalistes de renom. À force d’être trop nombreux, on finit par se gêner les uns les autres sur un plateau. En outre, le stress de ceux d’entre eux qui n’avaient jamais fait de direct était ce soir évident.
Le seul à être encore moins à l’aise, c’était Chirac. Politique intérieure, social, impôts, économie, tout y est passé. Je n’ai pas pris de notes pendant qu’il parlait, tant j’étais fascinée par la mise en scène de l’émission, son côté volontairement sophistiqué, qui n’est pas fait pour plaire à Chirac dont je sais qu’il préfère, au contraire, jouer la simplicité. Je n’ai noté scrupuleusement qu’une réponse, qui m’a paru démobilisatrice. Question d’Emmanuel Chain : « Il va y avoir une baisse des impôts plus importante que celle à laquelle on s’attendait ? » Chirac le coupe : « ... qui sera annoncée quand le gouvernement aura la possibilité de le faire. »
J’en suis comme deux ronds de flan. Cela veut-il dire que Juppé a annoncé trop vite cette baisse d’impôts, qu’il n’en a pas encore la possibilité, qu’il va falloir attendre des jours meilleurs ? Alors, pourquoi l’avoir dit il y a trois mois ? Est-ce un désaveu du Premier ministre, sur ce point précis ? Sûrement pas, puisqu’il lui a plusieurs fois rendu hommage au cours des deux heures d’émission. Bref, les réponses sont de nature à inquiéter les Français plus qu’à les rassurer.
Ce qui est clair pour lui, en revanche, et qui montre définitivement que le Premier ministre est en phase avec lui, c’est que l’Europe est devenue l’une des premières préoccupations du chef de l’État : l’« autre politique » est mise à la poubelle, je ne sais d’ailleurs pas si elle aurait été possible. L’horizon est celui de la monnaie unique en 1999.
Chirac a-t-il atteint son but : rasséréner les Français, leur remonter le moral ? Je pense que c’est tout le contraire : il a davantage parlé des pesanteurs françaises, de tout ce qu’il ne peut pas faire, des réformes auxquelles les citoyens sont hostiles. De quoi infliger une dépression nerveuse à tous les téléspectateurs. Une énorme erreur de communication, jointe à une analyse d’un pessimisme que je ne lui connaissais pas.
Une seule chose est certaine, ce soir : le remaniement, qu’il n’a pas même évoqué, n’est pas à l’ordre du jour.
14 décembre
Quelle activité, ce week-end ! Je passe de la nouvelle convention nationale du PS, le samedi matin, à Noisy-le-Grand, au colloque présidé par Édouard Balladur sur les quais de la Seine, à l’hôtel Nikko, en début d’après-midi.
Dans le fond de la salle, au PS, une grande affiche avec ce slogan : « Pour l’emploi, changer de politique ! » Ce qui est frappant, c’est la tonalité anti-Chirac des débats. Ici on considère qu’il a complètement échoué dans la conduite du septennat en général et dans son intervention télévisée d’avant-hier en particulier, et on enfonce le clou. Juppé est presque épargné : le mot d’ordre est manifestement, après son intervention, d’attaquer directement Chirac. Je retiens l’intervention de Daniel Vaillant, le complice de Lionel Jospin, qui met l’accent sur l’« archaïsme » – c’est son mot, repris de Rocard qui l’appliquait en 1980 à Mitterrand... – que dénoncent deux des orientations de Chirac : la flexibilité, proposée comme un remède au chômage, et le flottement au sujet de l’impôt sur la fortune.
Changement complet à l’hôtel Nikko. Un monde fou : plus demille personnes qui s’écrasent dans la salle ou aux portes d’entrée. Incroyable ! Un vrai camouflet pour Chirac. Tous les balladuriens sont là : François Léotard, Simone Veil, Nicolas Sarkozy – que je trouve très pâle, faisant la tête, sans doute après le refus opposé par Chirac au remaniement. Et puis aussi des tas de parlementaires RPR grand teint qui, à d’autres moments, ne se seraient
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