Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
et de rendez-vous, comme si l’Élysée s’était emballé. Je me suis amusée à recopier ici l’agenda de cette folle journée qui restera ainsi sinon dans ma mémoire, du moins dans ce cahier.
11 heures du matin : Le président du Sénat vient rendre visite à celui de l’Assemblée nationale. Monory et Séguin en tête-à-tête : ce n’est pas courant, c’est même la première fois de ma vie que je vois cela.
11 h 20 : Après un Conseil des ministres vite expédié et un entretien de quarante-cinq minutes avec Chirac, Alain Juppé déclare qu’il ne peut pas « commenter les rumeurs ».
11 h 30 : Juppé devant le groupe RPR à l’Assemblée : « Ne m’interrogez pas sur la dissolution, ce n’est pas de ma compétence. » Quelques députés éclatent de rire.
12 h 30 : Charles Pasqua, interrogé, ne « croit » ni à un remaniement ni à une dissolution.
13 heures : Juppé déjeune avec Monory.
16 heures : Laurent Fabius parle de « dissolution de confort ».
17 heures : François Léotard fait une escapade et abandonne une réunion de l’UDF. En réalité, il se rend à Matignon, chez Juppé.
18 heures : À l’Élysée, on dément les rumeurs de dissolution ou de remaniement. Ben, voyons !
17 avril
Toujours pas de décision élyséenne. Pierre Méhaignerie, avec lequel j’ai rendez-vous à 16 heures dans son bureau de l’Assemblée nationale, semble tout à fait séduit par l’idée d’une dissolution : « Vous savez ce que disait Edgar Faure : il y a des politiques sans chances, mais il n’y a pas de politique sans risques. » Citation qui lui permet de plaider pour la prise de risque, c’est-à-dire pour des élections législatives anticipées. « Pourquoi ? Pour reprendre les choses en main, d’abord. Et aussi parce que l’Europe a besoin d’un gouvernement français ferme dans l’opinion publique, qui soit capable d’éviter que les factions d’extrême droite utilisent la monnaie unique pour en faire un argument démagogique. Et enfin parce qu’une période d’incertitude ne favorise ni la relance, ni l’emploi.
« Voilà, continue-t-il, pour les éléments positifs. Je reconnais qu’il s’agit d’une nouvelle étape constitutionnelle. Mais les risques sont faibles. Le PS est démobilisé. À la réunion du Club Vauban 21 , ce matin, je me suis aperçu que les socialistes présents ne croient même pas à leur programme. Il est vrai que les représentants du PS à Vauban sont plutôt des sympathisants de Jacques Delors : ils n’ont pas la fibre étatiste. »
Dans le souci de ne pas mettre en cause un socialiste qui, ce matin, ne participait pas à la réunion Vauban, il me précise que François Hollande en était absent.
L’analyse de Pierre Méhaignerie repose en grande partie sur la faiblesse du Parti socialiste, et, il ne le dit pas, mais le pense, sur son « archaïsme » : « Le PS d’aujourd’hui ne peut pas aller, me dit-il, vers le “blairisme”, ce qui serait la seule solution. Son histoire ne le porte pas dans cette direction, sauf quand des personnalités fortes, comme Rocard ou Delors, l’y incitent. »
Il me parle des trois rapports – celui de Bloch-Lainé en 1980, celui de Michel Rocard en 1989, celui d’Henri Guaino en 1993 – qui ont abouti aux mêmes conclusions : la nécessité de réformes de structures qui permettront, selon lui, de répondre aux enjeux du vieillissement et de la mondialisation.
« Il est nécessaire, poursuit-il, de conclure un pacte social et, dans le même temps, de procéder à un tour de vis sérieux. J’en ai parléhier à Lamassoure, il confirme ce que je pense : pour respecter les critères de Maastricht et remettre sur pied les finances du pays, il faut bloquer l’accroissement des dépenses publiques à 0,2 % pendant plusieurs années. Point final. »
Il me dit en avoir également parlé à Raymond Barre, à Rennes, avant-hier, au cours de la réunion des Clubs d’entreprises. Ils sont d’accord sur tout, sauf sur un fait mineur : « Barre, me dit Méhaignerie, est partisan de voir alléger de 20 % les charges sociales des employeurs et de remplacer ainsi la multitude d’interventions et d’aides aux entreprises. Je n’en suis pas partisan, mais, entre nous, ce n’est pas une nuance qui remettra en cause notre accord global. »
Tour de vis, dépenses publiques bloquées à 0,2 % sur plusieurs années : si la majorité fait
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