Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
l’Élysée doit être en train d’attendre les résultats d’enquêtes d’opinion sur la réaction des Français à une telle éventualité.
Alain Juppé poursuit son propos en évoquant la montée du Front national. Il est convaincu qu’il faut combattre Le Pen parce que, dit-il, « c’est le diable : raciste, antisémite, xénophobe ; oui, je pense cela ». Pourtant, il note qu’à l’intérieur de la majorité, beaucoup d’hommes politiques gardent le silence – Giscard, Balladur – parce qu’ils ne veulent pas « diaboliser » le personnage, et parce qu’ils craignent, en s’en démarquant par trop vigoureusement, de perdre des voix sur leur droite. Aux yeux de Juppé, la stratégie de Le Pen est claire : « Il s’agit pour lui de virer cette majorité, de favoriser le retour au pouvoir du PS, et de tirer les marrons du feu. Oui, conclut-il, il faut le diaboliser ! »
Autre sujet : si Arthuis et Barrot sont mis en examen par les juges 19 , comme on en parle, quel sera leur sort ? Resteront-ils au gouvernement (jurisprudence Balladur) ou pas (jurisprudence Bérégovoy) ? « Les gouvernements, répond Juppé, ne peuvent pas être faits et défaits par les magistrats. De tout façon, il faut être clair : tout le monde y passera. Les Français, de ce point du vue, sont d’une hypocrisie totale : ils ne veulent, pour les partis politiques, ni financement public, ni financement privé. On n’en sortira pas. Toutes les tentatives pour remettre les compteurs à zéro (c’est-à-dire pour une amnistie, déguisée ou pas) échoueront. »
Quant au bilan que présenterait le gouvernement – dans quelques semaines si dissolution, il y a, dans un an si pas de dissolution –, Juppé ne le craint pas : « On n’aura pas un si mauvais bilan sur l’emploi, assure-t-il. Les courbes sont moins mauvaises depuis la fin de l’année. Je suis convaincu qu’aujourd’hui, aucun parti ne peut, en son âme et conscience, dire : je ferai mieux. Si nous mettons en outre le paquet sur les petites et moyennes entreprises, les choses peuvent encore s’améliorer. Là-dessus, je ne suis pas pessimiste. »
Nous insistons en fin de conversation : lui, que préfère-t-il ? Un remaniement, comme il le souhaitait l’année dernière, ou une dissolution ? Il ne nous répond que sur le remaniement – ce qui est peut-être une façon de préférer la dissolution : « Un remaniement, dit-il désabusé, cela ne coûte rien et cela fait plaisir. Il n’est pas question, de toute façon, d’infléchir la politique. On me propose d’accélérer la baisse des impôts en restant dans le calendrier de l’euro. Ça, c’est difficile. Alors, un remaniement pour faire plaisir à Léotard et àSarkozy ? Barre est fatigué, Giscard me rendrait la vie dure, et il ne servirait à rien d’en faire entrer d’autres au gouvernement. Alors... »
Nous comprenons : pas de remaniement. Si quelque chose se fait, ce sera donc la dissolution.
7 avril
Je m’en vais à Strasbourg avec les « grognards » du gaullisme – ou leurs descendants – qui vont y fêter l’anniversaire du discours du général de Gaulle, le 7 avril 1947, celui où il a créé le RPF, premier « rassemblement du peuple français ». Mon but à moi n’est pas de commémorer le RPF, mais de glaner des informations sur les intentions de Jacques Chirac en matière de dissolution. Inutile de dire que ceux qui font le voyage sont, dans leur plus grand nombre, plutôt favorables à l’Europe des nations, chère au cœur du Général, et qu’ils n’adhèrent pas au discours décentralisateur et européen de l’UDF. Cela donne une troupe assez homogène, quoique diverse, qui va de Bernard Pons à Franck Borotra, d’Alain Terrenoire à Jean Tiberi. Celui-ci me montre assez fièrement sa carte d’adhésion au RPF : elle date du 4 juin 1951, porte le numéro 75 846 – il avait alors 16 ans.
Dans l’avion de l’aller et dans celui du retour, il n’est question que de deux choses : la dissolution et la demande d’ouverture du « secret défense » par Lionel Jospin, hier, concernant les écoutes téléphoniques de l’Élysée du temps de Mitterrand 20 .
Sur ce point, Alain Juppé a immédiatement précisé que, pour le moment, il n’y aurait pas de déclassement, les documents sont classés « secret défense », ils le resteront. Jospin et Léotard en ont profité pour demander, au nom de la
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