Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
mais cela ne veut pas dire qu’ils applaudissent ceux qui les dirigent. Ce que va dire le Président est capital. S’il dit : “J’ai besoin de vous pour continuer”, cela voudra dire qu’il garde le Premier ministre. S’il dit : “En fonction de votre réponse, je déciderai”, il laisse la porte ouverte au changement. »
Conclusion : le Président prendrait beaucoup de risques à annoncer ou même à laisser croire qu’il gardera Juppé.
Et l’Europe, dans tout cela ? « L’euro, laisse tomber Charette, personne n’a intérêt à le mettre au milieu de la scène. » Chirac et la majorité pourront-ils se priver de l’argument de la construction européenne et de la monnaie commune ? Comment expliquer alors une dissolution sans invoquer la crise et l’échec ?
Les deux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ayant été reçus, comme le veut la Constitution, respectivement à 16 heures et 16 h 30 à l’Élysée, tout est fait dans les règles : la dépêche annonçant la dissolution en même temps que l’intervention de Jacques Chirac au journal de 20 heures tombe au moment où je quitte Hervé de Charette. De sorte que, lorsque j’arrive chez Jean-Pierre Raffarin, mon dernier interlocuteur de la journée, le doute est levé. Les députés, qui détestent par nature les dissolutions, se préparent déjà à rejoindre leur circonscription pour y caresser leurs électeurs dans le sens du poil. « Tout le problème, me dit Raffarin, est de faire campagne autour de Chirac, et pas autour de Juppé. Faire campagne sur le bilan de Juppé, c’est pratiquement impossible à faire. »
Et si la gauche gagne ? « Au fond de moi-même, convient-il, je me dis : il n’y a rien à faire. Qu’on leur laisse faire le budget de 1998, on verra comment ils s’en sortent ! »
C’est là un argument assez troublant : voilà une majorité prête à refiler la « patate chaude » à l’opposition sous prétexte qu’elle a peur du budget de l’année prochaine ! À ce compte, tout gouvernement pourrait, à peine nommé, trouver les choses trop compliquées et passer son tour en attendant des jours meilleurs...
Pourquoi Chirac n’a-t-il pas choisi finalement la voie du remaniement, tout de même plus sûre que celle des élections ? « Les balladuriens n’offraient pas suffisamment d’oxygène. Quant à l’UDF, ajoute-t-il, elle ne peut pas se plaindre d’être exclue au moment où elle affiche spectaculairement ses divisions. »
Et Giscard, que pense-t-il de tout cela ? « Il est hostile à la dissolution, répond Raffarin. Ç’aurait bien été la première fois qu’il aurait été convaincu par Chirac. »
Coup de téléphone de François Hollande, dans la soirée : « Chirac a joint Lionel Jospin, au PS, en fin de matinée. Il lui a fait très courtoisement part de sa décision. Tout juste s’il ne l’a pas félicité de son “7 sur 7” de la veille ! »
Philippe Séguin, que je joins également juste avant l’allocution du Président, résume l’affaire d’une phrase : « Il s’ennuie, là-haut, dit-il en parlant de Chirac. Voilà la vraie raison de la dissolution ! »
Suit l’intervention de Jacques Chirac, à 20 heures à la télévision. Sans surprise : comme cela fait des semaines qu’il crie au loup, lorsque le loup arrive, ça ne fait plus ni chaud ni froid.
Ce soir, il donne deux séries d’explications à sa volonté de redonner la parole aux Français alors qu’il ne l’avait pas fait dans la foulée de son élection en 1995. La situation française, d’abord : il faut que les électeurs se prononcent clairement sur l’ampleur et le rythme des réformes à conduire, parmi lesquelles il énumère, un peu pêle-mêle, la baisse des déficits, la réforme judiciaire, le chômage, l’exploitation des enfants, la drogue et les valeurs républicaines...
Et puis l’Europe : le passage à la monnaie unique, la réforme à venir des institutions européennes, l’élargissement de l’Europe aux « jeunes démocraties ». Tout cela, donc, appelle dans son esprit une dissolution.
C’est vrai et faux. Vrai, parce que ce sont là des problèmes essentiels. Faux, parce qu’à ce compte-là, il faudrait dissoudre en permanence : l’Assemblée élue représente les Français, il me semble ! Si on se met à retourner devant eux pour réformer la Justice ou se poser le problème des ravages de la drogue, on
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