Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
campagne sur ces thèmes, ce sera dur pour elle !
Je retourne dans la Salle des Quatre-Colonnes où tous les journalistes font le guet. À 18 heures passe Ladislas Poniatowski : « Mes affiches sont prêtes, dit-il, j’ai passé une partie de l’après-midi à mettre au point mon journal électoral. Je pense que les élections vont avoir lieu entre le 1 er et le 8 juin. » Il paraît non seulement être favorable à la dissolution, mais militer pour elle : « On ne peut rien faire de courageux si on n’a pas la durée devant soi. La situation économique est difficile, il faut retrouver une marge de manœuvre. »
Radicalement différent est le son de cloche d’Étienne Garnier, ma dernière rencontre de l’après-midi. « Le Président est comme une toupie, dit-il d’une voix forte, qui porte loin. Il a commandé une batterie de sondages dont il n’a pas encore les résultats. Il va dissoudre. Jamais je n’ai vu un homme politique prendre autant de risques ! »
Incapacité de réduire le déficit public, accumulation des dettes dans les sociétés nationales, à commencer par la SNCF, 47 milliards de trou de la Sécurité sociale : il fait ce soir un procès sans complaisance du bilan de l’action gouvernementale et présidentielle. Et s’attend au pire, c’est-à-dire à la défaite, si le Président dissout.
J’appelle René Monory au téléphone. C’est Jean-Dominique Giulani, son directeur de cabinet, qui me rappelle. Monory pense que, dans la situation actuelle, le gouvernement « n’a rien de bon à attendre d’une année supplémentaire ». Je lui demande combien de temps, à son avis, va durer ce cirque. « À partir du moment où Juppéa tout dit à Léotard hier, on ne peut pas s’attendre à ce que le secret soit longtemps gardé », répond-il sobrement.
18 avril
Édouard Balladur s’interroge sur ce ramdam de la dissolution. Il n’est pas à franchement parler en faveur de la tenue d’élections législatives anticipées. Son attitude ne rejoint pas celle de Léotard et de Sarkozy qui semblent pressés qu’elles aient lieu. Il est vrai qu’il n’a pas le même intérêt qu’eux : il ne compte pas, lui, comme me l’a précisé Devedjian, faire partie du prochain gouvernement. Il trouve surtout toute cette agitation « bien peu rationnelle ». Selon lui, la campagne socialiste serait, dans ce cas, simplissime : les socialistes plaideront la magouille, voilà tout. « Chirac, me dit-il, a tout à perdre dans l’opération : s’il gagne, on dira que la victoire revient à Juppé, et s’il perd, on lui imputera la défaite. Bilan pour Chirac, conclut-il : nul. » Il continue à penser qu’il vaudrait mieux un remaniement que la dissolution. Mais peut-être me cache-t-il son jeu.
20 avril
Toujours rien. Sur le plateau de « Polémiques », aujourd’hui, le débat principal s’engage évidemment sur la dissolution attendue, espérée par les uns, redoutée par les autres. « L’Assemblée nationale est finissante, le gouvernement en proie à des difficultés, un simple remaniement ne suffirait pas », plaide le RPR Jacques Baumel. « Le gouvernement est dans une impasse politique, économique et financière. Si Chirac dissout, c’est qu’il y a crise », répond François Hollande. « C’est la première fois, note Jérôme Jaffré, qu’une dissolution interviendrait par temps calme. » Son collègue Roland Cayrol, de l’institut CSA, ne se mouille pas : « La droite est en mesure d’obtenir la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, mais c’est une élection à risques. »
Hors antenne, François Hollande me raconte qu’après l’émission « Spéciale Jeunes » de Jacques Chirac, il y a quinze jours, il a évoqué, au bureau national du PS, la perspective d’une dissolution. Condescendant, Henri Emmanuelli lui a répliqué : « Pardonne-moi, mais depuis que je fais de la politique, j’ai toujours entendu parler de dissolution, et ça ne s’est jamais fait, alors... »
Le Parti socialiste se mobilise sans attendre. Hollande est formel : « Que cela plaise ou non, la campagne sera menée par Fabius et Jospin. Point final ! » La gauche ne refera pas l’erreur qu’elle a commise en 1986.
Resté quelques instants après le départ de Hollande, Paul Guilbert, qui participait à l’émission et a suivi Jacques Chirac pendant tous ses derniers déplacements, m’assure que la décision
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