Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
demandé Chirac. « Je me le demande également », aurait répondu Mitterrand.
Fin août
Grosse émotion dans la rédaction : Raymond Barre a profité des universités des Jeunes démocrates sociaux pour avancer l’idée de sa candidature à l’élection présidentielle de 1988. Il faut dire que les sondages publiés par la presse, qu’il s’agisse d’IPSOS ou de la Sofres, sont clairs : Barre serait aujourd’hui le candidat favori des Français 31 .
Hier, il a terminé son discours d’un ample : « J’aurai besoin de vous ! », juste avant d’annoncer sa candidature. Cela se passait à Hourtin, dans les Landes, il faisait un temps caniculaire. Les images montrent un Raymond Barre assez à l’aise, pas du tout coincé, au milieu d’une foule de jeunes. Il est donc le premier à entrer dans la bataille. Chirac doit le prendre assez mal, mais que faire ? Giscard et lui ont déjà conclu une sorte de pacte contre lui, mais, apparemment, cela ne suffit pas à rayer Barre de la carte politique. On a l’impression que plus il se montre sévère sur l’exercice de la cohabitation, plus il monte dans les sondages. Ce qui n’empêche pas la plupart de mes confrères de dire simultanément que les Français adorent la cohabitation. Allez savoir !
En tout cas, il est devenu incontournable : avec son côté éléphant Babar sympathique, que dément le bleu de ses yeux, d’une exceptionnelle intensité, il est peut-être le candidat que la droite attend : bon vivant, grassouillet, européen, tout cela avec le brevet de meilleur économiste de France que lui a décerné Giscard soi-même 32 .
5 septembre
Nouvelles interrogations sur le comportement de Bouygues. Hier, il a adressé une longue lettre à la CNCL. Pourquoi ? Parce que la Commission a attribué de nouveaux émetteurs à la Cinq et à la Six, qui n’étaient que médiocrement reçues sur le territoire national. Cela me paraît, à moi, normal : la CNCL ne s’était jamais engagée à maintenir les autres chaînes dans un état de sous-développement permanent. La Haute Autorité aurait fait de même. Bouygues, lui, nel’entend pas de cette oreille. Même s’il ne se fait guère d’illusions sur l’issue de sa démarche, il menace la CNCL d’un recours devant le Conseil d’État.
Une fois de plus, je m’interroge : faut-il donc se battre autant, tout faire pour écraser l’adversaire, en l’occurrence la Cinq et la Six, faut-il utiliser tous les moyens, y compris ceux de l’intimidation ?
Réponse de Francis Bouygues : oui. Tout périsse plutôt que TF1 !
Mon univers, plutôt teinté d’humanisme, en prend un coup.
6 septembre
Mauroy a changé d’avis : il jure, il en est sûr, que François Mitterrand se représentera. Et que, dans ce cas, il sera élu. Sur quoi se fonde-t-il ? Sur le fait que Mitterrand, qui a décidé de voyager de ville en ville, a entamé en réalité un véritable tour de France électoral. Il a attendu, pour ce faire, que sa cote remonte et que celle du gouvernement faiblisse. Aux yeux de Mauroy, Chirac a commis suffisamment d’erreurs, la majorité est à présent assez divisée pour qu’une candidature à un second mandat soit jouable.
Je pense, moi qui n’ai pas reçu de confidences particulières sur le sujet, que le chef de l’État ne sait pas encore ce qu’il va faire. Comme souvent, il prépare sa propre décision en organisant les choses en sorte de s’ériger en arbitre incontournable entre plusieurs candidatures incompatibles. Peu importe pour lui que Michel Rocard soit emporté par la vague. Qu’est-ce que c’est, Rocard, pour Mitterrand aujourd’hui ? Encore moins qu’hier, c’est-à-dire pas grand-chose.
Septembre
L’affaire Polac est aujourd’hui terminée. Je dois dire que l’émission de Polac, dépendant des programmes, suscitait de fortes controverses, depuis déjà longtemps, avec les journalistes. Ceux-ci n’ont donc émis aucune protestation lorsque l’affaire a éclaté 33 .
Pourtant, quel charivari dans la presse ! Il faut dire que Polac invitait tous les mois, voire plus, les éditorialistes de toute la presse écrite, et que celle-ci s’est jugée touchée par la condamnation de l’émission. Il n’en a pas été de même parmi la classe politique, finalement soulagée de se voir débarrassée d’une émission qui lui faisait peur.
Bref, la rédaction n’a pas bougé. Moi non plus, pas plus que Christine Ockrent, Anne Sinclair
Weitere Kostenlose Bücher