Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
ou Patrick Poivre d’Arvor. Il est vrai que les vedettes se privent volontiers des émissions qu’elles n’animent pas. Ou bien n’est-ce pas plutôt – je me le demande à moi-même – que nous trouvions qu’une telle émission, passionnée, volontiers démagogue, en tout cas plus polémique que culturelle ou politique, était presque incompatible avec le métier d’analyste politique qui est depuis longtemps le nôtre ?
17 septembre
Christine Ockrent, pas folle, a choisi son terrain pour résister à Le Lay : elle a demandé et obtenu l’émission-vedette de la chaîne, une interview politique. Poivre d’Arvor, Arlette Chabot, Bruno Masure font un peu la gueule. La première émission a eu lieu ce soir, avec François Mitterrand, qui, pour l’occasion, a quitté l’Élysée pour venir sur le plateau de TF1. L’interview était très bien ; Christine était de blanc vêtue, prenant la lumière avec un éclat qu’elle n’a pas dans la vie de tous les jours. « C’est ce qui fait les vedettes », m’a soufflé Jean-Claude Paris en la voyant à l’antenne.
Bouygues et Le Lay étaient flattés que Mitterrand eût accepté de se déplacer.
Y aurait-il une pause de publicité pendant l’interview du chef de l’État ? Nous nous étions posé la question : était-ce un crime de lèse-majesté ? Je n’en avais pas l’impression, Mougeotte non plus, Le Lay encore moins. Christine était de nous tous la plus réticente, mais elle ne s’est pas opposée à la décision prise.
Ce soir, on a donc vu, pour la première fois dans l’histoire de la télévision, le chef de l’État interrompu par une page de pub. Celan’a l’air de rien, mais lorsque cela s’est passé, nous avions tous la gorge serrée : Mitterrand n’avait pas été prévenu, il pouvait à tout moment trouver cette interruption déplacée, et le faire savoir publiquement.
Il a fait mine de trouver cela tout à fait naturel et n’en a pas dit un mot.
Pour le reste, je n’ai pas retenu grand-chose de ce qu’il a déclaré. Rien, naturellement, sur sa candidature éventuelle à l’Élysée l’année prochaine.
5 décembre
Hier, échec complet du Conseil européen de Copenhague sur l’augmentation des ressources de la Communauté. Le seul aspect positif de la réunion a été dans la complémentarité dont, pour une fois, Mitterrand et Chirac ont fait preuve. Il paraît qu’ils ont lutté ensemble, également sans succès, mais chacun à sa manière, Mitterrand dans les cintres, parlant de l’avenir de l’Europe, Chirac au charbon, allant jusqu’à traiter, paraît-il, Margaret Thatcher d’« épicière » !
« Cette Europe, me dit tristement Maurice Faure qui avait suivi Mitterrand à Bruxelles, c’est l’échec d’une génération ! »
16 décembre
L’histoire vaut son pesant d’or. Je la consigne ici pour qu’elle reste au moins dans mon esprit, sinon à la postérité.
Je viens d’arriver à Évian où j’ai décidé de prendre quelques jours de répit, ne voulant pas quitter TF1 pendant les vacances de Noël : c’est pendant les congés que se passe généralement l’événement inattendu dans une rédaction désorganisée. J’y suis depuis vingt-quatre heures lorsque Danielle de La Gorce, restée à Paris 34 , me téléphone : « Il faudrait que tu rentres », me dit-elle. Pas question, je viens d’arriver ! Son ton se fait plus insistant : « Tu devrais rentrer, je te le dis à mots couverts ! Tu n’as pas le choix : Le Lay est furieux ! »
Que faire ? Je rentre. Libération du 12 décembre est sur mon bureau, avec le premier sondage « Présidoscope ». De quoi s’agit-il ?Nous avons décidé, comme cela se fait généralement, de partager avec le journal de Serge July les frais des sondages présidentiels jusqu’à l’échéance du printemps 1988.
Raymond Barre, comme prévu, y figure en tête. Il devance donc Jacques Chirac. Eh bien, incroyable mais vrai ! Le sang de Chirac n’a fait qu’un tour : il a appelé Bouygues pour lui remonter les bretelles contre les sondages, contre Libération , et contre moi sans doute. À voir la tête de Patrick Le Lay quand je me rends à sa convocation furieuse, je me dis d’abord que la conversation Bouygues-Chirac a dû être des plus animées 35 .
Je me dis aussi que Le Lay n’était pas au courant de ces accords généralement conclus entre la presse écrite, les télévisions et les radios. Je l’avais
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