Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
fait lorsque j’étais à RTL, à Radio France ; c’était la routine, en quelque sorte. Je ne sais quelles ont été les menaces proférées par Chirac contre TF1, mais me voici mise en cause pour avoir publié le premier sondage de la série « Présidoscope ». Le présentateur – en l’occurrence Poivre d’Arvor, dangereux anarchiste de gauche ! – n’aurait pas dû le rendre public.
Si Le Lay est furieux, son étonnement m’étonne, d’autant plus que ce sondage n’est pas différent de ce que disent tous les autres depuis trois mois 36 . Aurait-il fallu s’abstenir d’évoquer un sondage fait pour nous ? Dans ce cas, ce serait Raymond Barre qui aurait été furieux, et ses partisans qui auraient crié à la censure.
Cet argument fait tomber la fureur de Le Lay. Il se rend bien compte que TF1 ne peut pas ne pas rendre publics des sondages en période d’élections. Nous convenons que, pour la suite, nous continuerons à évoquer les chiffres des sondages TF1- Libération , en citant également ceux des autres sondages réalisés par d’autres instituts.
Je sors de cette conversation éberluée. Non pas tant par Patrick Le Lay, qui ne connaît pas toujours les usages de la presse, que par Jacques Chirac ! Il connaît très bien les sondages, les instituts, la bagarre de chiffres qui précèdent tous les scrutins présidentiels ! Ilsait fort bien que les sondages correspondent à des moments, sont des photographies de l’opinion, et qu’ils peuvent changer. C’est bien à cela que servent les campagnes. Et puis, franchement, nous nous connaissons depuis vingt ans : ne pouvait-il pas m’appeler directement, plutôt que de s’en aller me dénoncer au patron de la chaîne, en arguant sans doute que j’étais trop proche de la gauche ?
La quête du pouvoir rend-elle les gens à ce point différents ?
20 décembre
Pas eu le temps d’écrire, c’est un comble, sur mon premier dîner chez Mitterrand à l’Élysée. Je veux dire : mon premier depuis la fin de la Haute Autorité en 1986. Il m’a donc invitée pour un repas en petit comité, avec Françoise Sagan et quelques-uns de ses proches. Comme si le temps ne s’était pas écoulé, comme si nous étions revenus des années en arrière.
Discussion en finesse, par allusions, pour ne pas gêner les autres convives. Sagan, absente, presque, n’y participe que du bout des lèvres. Et, de toute façon, quand elle parle, je n’entends ou ne comprends rien. Sans être sourd, je pense que Mitterrand ne l’entend pas plus que moi. C’est donc à moi qu’il s’adresse le plus souvent. Je suis en face de lui, Françoise Sagan est assise à sa droite.
Qu’il songe à se représenter ? Je n’en doute pas une seconde depuis ce dîner. La seule chose qui l’en empêcherait, me semble-t-il, parce qu’il y revient souvent, c’est son âge. Du genre : Ah, si je n’étais pas si vieux, je leur donnerais encore du fil à retordre ! Il fait mine, cependant, de s’interroger :
« Savez-vous, me dit-il à un moment donné, que tous les hommes de ma famille sont morts à 80 ans, ou juste avant 37 ? »
Je ne sais ce qui me prend, je lui réponds du tac au tac, comme si j’avais préparé cette réplique depuis des mois – ce qui n’est pas du tout vrai : « Eh bien alors, pas de problème : mourir pour mourir, il vaut mieux mourir à l’Élysée ! »
Il ne s’attendait pas à cet argument que je trouve pourtant frappé au coin du bon sens. Il se tait quelques instants tandis que la tablée autour de nous se demande comment il va prendre mes paroles, puis il sourit : « C’est imparable, me dit-il, vous avez raison. »
Je le trouve presque soulagé : je lui ai fourni, sans y réfléchir, une justification qu’il ne se donnait pas.
On change de sujet, puis, quelques minutes après, il revient aux élections lorsque je lui demande quand il compte éventuellement faire acte de candidature. Il me répond que si, d’ici le 15 janvier, il n’a rien dit, c’est qu’il se présentera.
Façon tordue, bien à lui, de répondre ! Je traduis : s’il parle avant le 15 janvier, ce sera pour dire qu’il se retire et pour laisser à un autre candidat socialiste (Rocard ?) le temps de faire campagne. S’il ne dit rien, c’est au contraire qu’il aura choisi de se représenter. Sa campagne, dans ce cas, sera courte.
Je le quitte sans être sûre de rien. C’est cette impression-là qu’il veut laisser
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