Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
me dit-il, a transformé cette consultation en référendum. Les électeurs sont interrogés sur le point de savoir s’ils approuvent ou pas la méthode politique qui consiste à dissoudre ; s’ils sont ou non contents du bilan d’Alain Juppé ; s’ils sont pour ou contre l’euro. »
La réponse, selon lui, est sans nuance : NON.
Quant au président du Sénat, que je joins par téléphone, il est à peine plus optimiste : si, assure-t-il, Alain Juppé confirme, laisse entendre ou suggère qu’il pourrait se succéder à lui-même, et ce, pendant cinq ans, les élections peuvent être perdues. C’est la raison pour laquelle, au cours de l’émission de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, ce matin, il a insisté, lui, sur le fait que le jeu était ouvert,qu’Alain Juppé ne visait pas à rester à Matignon cinq années supplémentaires.
Je suis convaincue qu’avant de se prononcer en faveur de la dissolution, Monory, qui jouit auprès du Président d’une autorité particulière, a tenu à Chirac les propos qu’il me tient ce matin. Il ne sait pas si Chirac l’a bien entendu.
Dès la soirée, le PS envisage la cohabitation. Daniel Vaillant, numéro 2 de Jospin, vient tout exprès à RTL pour affirmer que le Président est là pour cinq ans, que les socialistes ne mettent pas en cause sa légitimité. Il plaide pour un gouvernement de « la gauche rassemblée et pluraliste » dont il assure qu’il gérera mieux la France qu’elle ne l’est aujourd’hui. Première étape à gauche : rassurer. Il n’y aura pas de Grand Soir, pas de révolution : Chirac, en haut, qui fera des gâteaux, et Jospin, en bas, qui fera du chocolat...
« Pour Jospin, me dit après lui François Hollande, la bénédiction, c’est Juppé ! »
Le programme du PS sera rendu public le 2 mai.
24 avril
J’interroge aujourd’hui Sophie de Menthon, une des organisatrices du club « Idées-Actions », sur la position d’Alain Madelin. Il semble qu’à un moment donné, durant la longue série des consultations élyséennes, quelqu’un (Ulrich, Denis ?) lui ait laissé croire qu’il pourrait être Premier ministre, que Chirac allait donc amorcer un virage libéral. Madelin se préparait par conséquent à développer les thèmes libéraux qui sont les siens et dont il n’a, contrairement à d’autres, jamais changé. Dominique de Villepin s’est alarmé, il a prévenu Juppé, les deux ont protesté contre toute dérive ultra-libérale. Madelin s’est senti visé, il s’est retiré sur son Aventin, c’est-à-dire sur son petit groupe d’« Idées-Actions ». Je suis sûre qu’il ne restera pas longtemps à la retraite. Sophie de Menthon me le confirme : « Finalement, dit-elle, il a toujours l’espoir d’être nommé à Matignon en juin prochain. Nous sommes tous convaincus que les élections ne peuvent se gagner que si on élimine Juppé. Beaucoup le pensent, peu le disent. Jacques Chirac lui a dit il y a quelques jours : “Crée-toi une assise populaire, tu pourras être Premier ministre.” »
Je reconnais là Chirac, qui n’a pas son maître pour parler aux gens ! S’il a cru que c’était un engagement ferme, Madelin s’est trompé !
La campagne d’Alain Madelin se fera autour du « libéralisme social », slogan que les candidats « madelinistes » reprendront sur leurs affiches. De fait, un peu de social dans le libéralisme, ça ne peut pas faire de mal.
25 avril
Nicolas Sarkozy arrive tout guilleret ce matin à RTL. Cette dissolution lui va très bien : il ne croyait pas pouvoir faire aussi vite sa rentrée dans le cercle du pouvoir. Au cours du petit déjeuner avec la rédaction qui suit l’émission, il se montre disert : « J’ai toujours eu le pire et le meilleur : de grands succès et le pire des insuccès. » Sa marionnette sur Canal + : « Elle me poursuit. Elle est aussi à gérer, car c’est devenu une partie importante de mon image. L’autre jour, j’allais chercher mon fils à l’école. Une petite fille se plante devant moi, éclate de rire, fait des grimaces – celles de ma marionnette dans les « Guignols ». Sur le moment, je n’ai pas compris. Il a fallu que mon fils m’explique. Même chose à Nice où j’ai commencé un discours de meeting par ces mots : “Je vais vous dire...” Explosion de rires ! »
Il ajoute : « Nous sommes la seule profession vilipendée tous les jours, diffamée, malmenée. C’est miracle
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