Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
étape ?
28 avril
Charles Pasqua s’irrite en parlant de Juppé : il ne délègue rien, me dit-il, il veut tout faire. C’est le contraire de Balladur qui pratiquait la délégation avec bonheur.
« Vous y croyez, vous, me demande-t-il, qu’il n’est pas candidat à sa succession ? Qui peut le croire ? Pas vous ! Pas moi. »
Il me donne, sur la dissolution, un son de cloche que je n’ai encore jamais entendu. À ses yeux, il ne s’agit pas, de la part de Jacques Chirac, d’une idée qu’il a tirée de son chapeau au tout dernier moment : « Peut-être, me dit Pasqua, pas suspect d’une excessive indulgence à l’égard de Chirac, y pensait-il même depuis le début. Moi, je lui en ai parlé une première fois en 1995, après son élection, et une seconde fois à la fin de 1996. Il n’était pas contre. Il y pensait lui aussi, en 1995 ; son seul problème était : comment présenter cela aux Français ? » Pasqua n’exclut pas que, dès 1995, Chirac ait déjà choisi la date de 1997 pour y procéder. Dans ce cas, le mandat de l’actuelle majorité s’achèverait en même temps que le sien, en 2002, ce qui le dispenserait de risquer une cohabitation.
Je n’ai entendu personne d’autre que Pasqua formuler cette hypothèse. En gros, les commentaires de la presse trouvent que la dissolution servira Chirac, qui a pris la gauche de court, et va relancer samachine gouvernementale et politique, bien fatiguée. Mais personne ne semble penser qu’elle relève d’une stratégie mise au point depuis son élection. La majorité rend hommage à son habileté du moment, pas à une vision politique remontant à 1995.
Balladur à Matignon ? Pasqua ne l’exclut pas. Il écarte Sarkozy, Bayrou et Léotard, ne jugeant pas ce dernier « à la hauteur ».
Le succès lui paraît acquis, sauf erreur d’un des responsables de la majorité.
François Hollande, lui, que je rencontre dans l’après-midi, me parle des négociations qui ont commencé et continuent avec le Parti communiste. Le but du PS est de constituer une constellation majoritaire pour faire émerger une « gauche plurielle ». Les temps ont changé : ni le PC ni le PS ne veulent cette fois, avant le premier tour, d’un programme commun. Ils ne veulent pas davantage parler de la présence de ministres communistes au gouvernement. En revanche, ils se mettront d’accord sur un certain nombre de démarches communes : soutien à la consommation, baisse d’impôts, préservation du service public. Reste une divergence de taille : sur la monnaie unique.
La stratégie est simple : avant le premier tour, on discute, on se rapproche. Pas d’accord de gouvernement. Sitôt fini le premier tour, PC et PS partiront ensemble à la bataille du second. D’ailleurs, la prochaine rencontre PS-PC aura lieu entre les deux tours.
Je demande à Hollande dans quel état il trouve le PC aujourd’hui. À son avis, il est profondément divisé entre les cadres intermédiaires, sur la ligne Marchais, et les proches de Robert Hue, favorables à une démarche unitaire. Le leadership de Hue, juge-t-il, est réel chez les militants, pas chez les cadres.
Après lui, me voici dans le bureau de Jean-Christophe Cambadélis, général en chef de la manœuvre de rapprochement entre communistes et socialistes. Les négociations entre les partis de gauche ont commencé il y a en réalité plusieurs semaines. Du côté communiste, les négociateurs sont tous des « hutistes », c’est-à-dire des lieutenants de Robert Hue : Gayssot, Blotin, Philippe Lespagnol. Le problème est qu’au début du moins, les trois négociateurs communistes pensaient que le rapprochement avec les socialistes ne passerait pas devant le bureau du Parti.
La vraie nouveauté ne réside pas dans ce dialogue, dont la gauche a l’habitude, avec le Parti communiste, mais dans la démarche queHollande appelait tout à l’heure « plurielle » avec les partis non communistes : les radicaux, les Verts et le Mouvement des citoyens. « Le PS est au centre de toutes ces forces. » Je traduis pour mon usage personnel : que Jospin n’est pas mécontent d’éviter le tête-à-tête, vieillot, avec le Parti communiste.
« Cette constellation n’entame pas la marge de manœuvre de Jospin. » Jean-Christophe Cambadélis fait toujours dans la nuance, il s’exprime d’une voix égale, avec des sous-entendus que ses interlocuteurs ne perçoivent pas toujours. Je comprends
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