Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
candidature, il mène une campagne de tous les tonnerres, au point que la courbe des sondages s’est croisée : depuis la fin janvier, il devance Raymond Barre dans les sondages 3 .
Inutile de dire que, depuis qu’il est en tête, et contrairement aux reproches qu’il nous faisait de publier les chiffres des sondages, il juge que nous ne sommes pas gentils avec lui, puisque nous ne les publions plus qu’avec d’infinies précautions !
Donc, Barre est à son tour sorti du bois. Il l’a fait depuis Lyon, aujourd’hui. Il ne se « résigne pas au déclin » de la France, réclame un « État impartial au service de tous ». Je me demande ce que donnera une campagne présidentielle faite sur ce ton, à la fois grondeur,professoral, et dans cette forme : sans envolées, sans élans, presque sans mouvements.
À TF1, les journalistes, les techniciens de l’image et du son qui l’ont accompagné à Lyon racontent, en se tordant littéralement de rire, comment Barre n’a toujours pas compris – ou fait semblant de ne pas comprendre – que, pour passer à la télé, il faut être éclairé. Il ne cesse de se plaindre de ces spots en pleine figure, de cet éclat qui le dérange, de cette lumière qui s’allume dès qu’il se déplace. « Enlevez-moi ces projecteurs », ne cessait-il de dire, irrité, à Jacques Alexandre 4 qui n’en pouvait mais.
14 février
On a beau dire, moi-même j’ai beau dire : il n’empêche que Raymond Barre, tel qu’il est apparu tout à l’heure à « Questions à domicile », est un homme plutôt sympathique, le contraire d’un homme politique. Autant les meetings donnent de lui une image de père fouettard, autant, dans la vie de tous les jours, il apparaît comme un brave type, sans concession, certes, mais sans méchanceté. Mais aussi sans cette étincelle qui fait qu’un homme politique est élu.
16 février
Jacques Chirac, costume gris, cravate bordeaux, au journal d’Antenne 2, ce soir. Ce n’est pas un hasard s’il a choisi la chaîne concurrente : il doit être encore furieux des sondages rendus publics à l’automne dernier par TF1 !
En tout cas, voilà mille jours – mille jours ! – que les otages français sont détenus au Liban. Le Président a parlé, au sujet de ceux qui les détiennent, de « barbarie 5 ». Les parents de Jean-Paul Kauffmann, en direct depuis leur Bretagne, à Corps-Nuds, sont dignes, bouleversés. Ils semblent néanmoins faire des réserves sur l’action du gouvernement français. Chirac répond sobrement, sans trop en faire, que la situation exige une « certaine discrétion », même si les parentsde Kauffmann et des autres otages, Carton, Fontaine, ressentent mal le silence obligatoire dans lequel s’enferment les autorités françaises.
Comme toujours, dans ces cas-là, il est humain : sa voix perd son côté métallique, elle devient plus grave, s’éraille presque – la cigarette, ou le souvenir de Pompidou ? –, même s’il précise aussitôt, comme il l’a fait tout à l’heure, qu’il ne peut ajouter aucun commentaire.
Il reprend sa voix habituelle, en revanche – sa voix politique, si j’ose dire –, en répondant aux questions d’Henri Sannier et de Paul Amar. Sur l’Iran, il a dit qu’il n’avait pas de relations avec « un complice des terroristes », sinon par le biais de l’Italie. Pourquoi l’Italie, je ne sais...
Sa rivalité avec Raymond Barre ? Pas de guéguerre entre les deux, a-t-il assuré en tentant de minimiser les antagonismes entre eux. Il y a deux candidats au sein de la majorité, voilà tout.
Et Mitterrand ? Il voudrait bien qu’il « sorte de la pénombre ». La situation doit l’énerver au plus haut point. Il n’a pas l’air de douter un seul instant que Mitterrand sera candidat. Ce qui l’irrite, c’est qu’il ait été obligé de se découvrir avant lui.
Une seule chose drôle, pour finir : il paraît que Chirac a souvent des mots plus que désagréables à l’égard de Margaret Thatcher. Il l’a traitée d’« épicière » lors de je ne sais quel Conseil européen 6 . Et lui a adressé une grossièreté que j’ai oubliée, à la fin de l’année dernière. Lorsque Henri Sannier lui demande si c’est vrai – et nous savons tous que c’est vrai –, Chirac répond, la main sur le cœur, qu’il ne sait pas « comment sont nés ces bruits ».
Ce qu’il y a de drôle là-dedans, c’est que, contre toute attente,
Weitere Kostenlose Bücher