Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Mitterrand s’entend très bien avec Thatcher, dont, c’est le moins qu’on puisse dire, il ne partage pas les idées. Il la trouve même – il l’a dit à l’occasion du sommet à Venise, l’année dernière – séduisante !
Chirac est politiquement plus proche de Thatcher que Mitterrand ne l’est lui-même. En revanche, il ne lui trouve aucun charme. Toujours décidément arrive l’inattendu : dans le cas présent, la détestation qui s’est instaurée entre Chirac et Thatcher, dès les premiers mois de la cohabitation, était tout sauf prévisible.
22 février
Les affaires de Nouméa illustrent à merveille l’insurmontable mur qui sépare la droite de la gauche pour ce qui a trait aux territoires et départements d’outre-mer. Depuis plusieurs mois déjà, TF1 envoie sur place nombre d’équipes de reporters et autres cameramen pour suivre les événements qui opposent sans cesse les deux communautés, kanak et caldoche.
Cela fait longtemps que la Nouvelle-Calédonie est entrée dans mon angle de vue : la Haute Autorité avait été chargée, en septembre 1985, d’organiser la première campagne audiovisuelle à l’occasion des élections locales qui avaient eu lieu là-bas, exactement aux antipodes. Paul Guimard, escorté de Corinne Fabre 7 , s’était rendu sur place et avait rendu visite aux communautés en présence. À son retour, après une campagne par exception sans trop d’histoires, il m’avait raconté comment il avait navigué entre les deux communautés en s’en sortant assez bien, trouvant cependant à plusieurs reprises, le soir, à l’entrée de son bungalow, quelques grigris déposés sur son paillasson, statuettes et autres objets dont il n’avait jamais su au juste s’ils étaient bénéfiques ou s’ils portaient malheur.
Ensemble nous avions longuement disserté sur le colonialisme français empreint, à l’autre bout du monde, d’une incommensurable bêtise : terres impossibles à cultiver attribuées aux Kanak, grandes propriétés occupées par les Caldoches, pouvoir économique entièrement aux mains des Blancs. Avant 1986, le gouvernement Fabius avait entrepris une libéralisation de l’île où les Kanak n’avaient, depuis des décennies, que le droit de regarder les Caldoches faire des affaires et prendre en main tous les postes importants du territoire 8 .
Évidemment, en accédant au pouvoir, le nouveau gouvernement, plus proche du leader caldoche RPR Jacques Lafleur que du Kanak Tjibaou, a immédiatement entrepris de faire le contraire de la politique mise en route par la gauche. Depuis 1986, le désaccord entre la gauche et la majorité ne cesse sur ce point de s’aggraver. Chirac a fait voter un projet de loi réformant le statut de la Nouvelle-Calédonie. Il s’est rendu lui-même à l’été 1986 à Nouméa pour prêcher la réconciliation. Il a été accueilli comme un sauveur, naturellement, par les représentants locaux du RPR. Et puis tout s’est dégradé, et la violence n’a plus cessé depuis deux ans.
Aujourd’hui, le FLNKS a pris en otages neuf gendarmes français. Cette fois, l’irrémédiable est là. N’importe lequel de ceux qui ont vécu de loin ou de près la guerre d’Algérie sait que l’actuelle politique française, qui s’appuie sur des colons, ou, pis encore, sur des Kanak modérés, ira forcément dans le mur. Je sais bien que les leçons de l’Histoire ne servent à rien. Tout de même, recommencer le même engrenage que dans les années 1954 à 1962 relève de l’amnésie. Sont-ils gaullistes, ces gens-là, qui des années plus tard se battent pour la Nouvelle-Calédonie française comme d’autres se sont battus pour l’Algérie française ? Là encore, je me souviens de la passion avec laquelle Chirac avait un jour raconté à notre petite bande de journalistes comment il avait été heureux, oui, heureux, en Algérie pendant qu’il y faisait – comme lieutenant, je crois – son service militaire sur un piton rocheux.
4 mars
L’inauguration du chantier de la Pyramide du Louvre par Mitterrand, escorté de François Léotard, aujourd’hui, marque une sorte de point final à la bagarre que se livrent Édouard Balladur et le Président depuis bientôt deux ans. J’avais fini par croire que cette pyramide, entre la Cour carrée et l’arc de triomphe du Carrousel, ne verrait jamais le jour. Émile Biasini, président de l’établissement public du Grand Louvre, m’a raconté hier le
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