Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

cynique, mais c’est vraiment ce que je pense.
    Pour le reste, je note qu’il a retrouvé son visage apaisé. Il tient la salle, plaisante, réunit enfin quelques-uns d’entre nous dans un salon voisin. Qu’importe ce qu’il dit. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas baissé la garde. Et, à mon avis, pas renoncé non plus à se porter candidat. Avant le 15 janvier ?

    6 janvier
    Chirac au forum de L’Expansion . Évidemment, question majeure posée d’une façon ou d’une autre par les journalistes : quand se présentera-t-il officiellement ? Tout l’intérêt du forum tourne autour.Quand on sait qu’il ne répondra que lorsqu’il le voudra bien, toutes ces questions me semblent vaines. C’est le jeu. Tout comme c’est son jeu à lui de nous dire que les choses seront connues d’ici une semaine, ou deux, ou trois.
    De temps en temps, l’exercice du métier de journaliste me semble vain : il est évident que ces grands fauves de la politique ne se laissent jamais aller à dévoiler leur stratégie quand ils ont décidé de ne pas le faire. Alors, pourquoi les interrogations, les batailles pour un scoop qu’on n’aura jamais s’il décide de ne pas le donner ? Je dois vieillir...

    16 janvier
    Jacques Chirac n’avait pas menti, au forum de L’Expansion  : aujourd’hui, il l’a annoncé depuis l’hôtel Matignon, il est officiellement candidat.
    Je croyais qu’il attendrait que Mitterrand le précède. En tout cas, c’est ce que Jacques Toubon m’avait dit, et ce que Charles Pasqua raconte à tous les journalistes qu’il reçoit Place Beauvau.
    S’il sort de son mutisme aujourd’hui, je pense que cela a quelque chose à voir avec les coups de téléphone rageurs qu’il a échangés avec Bouygues ou Le Lay à la fin de l’année dernière : les sondages.
    Ceux-ci montrent que Raymond Barre tient la corde, qu’il serait un meilleur candidat que Jacques Chirac contre Mitterrand ou contre Rocard. Modéré, rond, quoique sans indulgence, raisonnable, Barre finit par bénéficier, il me semble, de son attitude radicalement opposée à la cohabitation : tous ceux qui sont à la fois mécontents du gouvernement et du Président se retrouvent derrière lui.
    Et puis, les jeunes UDF se mobilisent en sa faveur, surtout depuis que François Léotard a pris conscience qu’il serait prématuré, pour lui, de lancer sa propre candidature. Être Premier ministre de Raymond Barre, en revanche, est à sa portée.
    Voilà pourquoi Jacques Chirac a pressé le pas.

    24 janvier
    Michel Rocard annonce à la radio qu’il a déjeuné hier ou avant-hier avec Mitterrand. Il met volontairement fin, avec un haut-parleur, aux interrogations qui sont dans toutes nos têtes : Rocard ne se présentera pas contre Mitterrand. Je n’en doutais qu’à demi, jusqu’àce que paraisse en décembre ce nouveau livre qui me semblait pouvoir lui servir de bréviaire de campagne 1 . Et bien ce n’est pas pour cette fois.

    2 février
    Nous sommes début février et Mitterrand n’a toujours pas parlé. Ce qui voudrait dire qu’il se représentera 2 .
    Pourtant, à l’heure qu’il est, rien n’est réglé. Qui, de nous tous, jurerait qu’il est prêt à prendre le départ ? ou jurerait du contraire ?
    Celui à qui le mutisme de Mitterrand risque de couper les ailes, c’est une nouvelle fois Rocard. Il n’aura plus le temps de faire campagne si Mitterrand persiste à ne pas lever lui-même le suspense.

    3 février
    Je pose la question à Claude Estier sur le cas Rocard. Estier est convaincu que ce n’est plus un problème. Que Rocard occupe le terrain, avec l’autorisation de Mitterrand, tant que celui-ci n’a pas encore fait acte de candidature. Puis qu’il s’effacera derrière Mitterrand dans quelques jours, quelques semaines, dès que le Président aura annoncé qu’il est candidat. Il a l’air de ne pas nourrir de doute à ce sujet. Sur quoi fonde-t-il sa certitude ? Sur le fait que Michel Rocard et ses fidèles ont cessé d’alimenter la polémique avec Mitterrand. Ils connaissent les pronostics des sondages et savent que, dans le climat de la cohabitation où la fonction essentielle du président de la République est de distribuer les bons ou les mauvais points au gouvernement, Mitterrand ne peut que garder son avance par rapport à lui, Rocard.
    « Et puis, me dit Claude Estier, ils se voient beaucoup plus souvent que les journalistes ne le savent. En décembre dernier, ils se