Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
sont encore vus longuement. Je crois que Mitterrand a dit à Rocard que s’il se présentait contre lui, ils perdraient l’un et l’autre. Comme, j’en suis sûr maintenant, Mitterrand se représentera, cela a définitivement dissuadé Rocard de se présenter de son côté. »
Lui aurait-il dit, comme à Pierre Mauroy avant 1981 : « Je songe à vous pour un ticket » ? Cela, Estier assure qu’il ne le sait pas.
6 février
Avec Maurice Faure, nous parlons interminablement de cette cohabitation qui se vit devant nos yeux. Maurice Faure a toujours eu pour Jacques Chirac une sorte d’admiration, sinon de sympathie. Pourquoi ? Pour des raisons totalement contradictoires, il me semble, mais néanmoins explicables. Avant tout, il me paraît très sensible à la détermination dont Jacques Chirac a fait preuve depuis quinze ans. Normal : lui qui en a tant manqué, de détermination, sait la reconnaître et l’apprécier à sa juste valeur chez les autres ! Et puis, c’est l’élu local qu’il respecte : sur ces terres radicales, Chirac apparaît parfois plus radical que les radicaux.
Tout cela pour expliquer l’interrogation qui nourrit notre conversation : quelles sont exactement les relations entre Mitterrand et Chirac ? Parfois, souvent même, depuis près de deux ans, on a senti le premier exaspéré par le second. Ils se voient tous les mercredis avant le Conseil des ministres sans que l’on sache ce qui se dit vraiment dans ce tête-à-tête officiel. Mitterrand apprécie-t-il, s’amuse-t-il de l’animal politique, plus jeune, qui se trouve en face de lui ? Ou bien s’agace-t-il, au contraire, des libertés que Chirac a prises – et prend toujours, à l’occasion –, notamment lors de ses déplacements à l’étranger ? Surveille-t-il ses empiètements sur la fonction présidentielle ? Quand on connaît Mitterrand, comment en douter ?
Quant à Chirac, j’en suis convaincue, il n’a jamais aimé Mitterrand. Je me rappelle qu’il y a déjà longtemps, au moment où il était ministre de Georges Pompidou et assez proche de lui pour bénéficier de certaines confidences, il m’avait raconté la très piètre estime, pour ne pas dire la méfiance dans lesquelles Pompidou tenait Mitterrand à la fin des années 1960. Il ne m’a jamais précisé sur quoi portaient alors ses attaques, il m’en a dit néanmoins assez pour que je sache qu’il n’a sûrement pas oublié les mises en garde de Georges Pompidou.
C’étaient d’ailleurs plus que des mises en garde. Un jour, m’avait-il raconté, il avait vu Georges Pompidou jeter au feu je ne sais quelle note – émanant des services dont c’est le travail – sur François Mitterrand, alors candidat unique de la gauche, en disant, après l’avoir montrée à Chirac : « Détruisons vite ce document avant d’être tenté de nous en servir ! »
Si je n’ai pas oublié cela, Chirac n’a pas dû l’oublier non plus. Ceux qui pensaient que le Premier ministre allait peut-être tomber dans le piège, c’est-à-dire dans le jeu de la séduction de Mitterrand,se sont trompés. Je me rappelle que les giscardiens disaient cela aussi lorsque Chirac est devenu Premier ministre de Giscard. Ils le voyaient déjà conquis par Giscard d’Estaing, dompté par lui, par son intelligence, comme il avait été séduit par Georges Pompidou. Manifestement, ce n’est pas le cas.
En revanche, tant d’images, tant de plans filmés à la télévision, tant de conférences de presse données conjointement par le Président et son Premier ministre, donnent l’impression d’une complicité extrême entre eux deux. Sourires appuyés, phrase commencée par l’un et terminée par l’autre : se peut-il que l’un et l’autre dissimulent à ce point leurs sentiments profonds ? Curieux couple, tout de même, qui compte les jours avant sa séparation.
Dans quelques semaines, nous ne nous poserons plus la question sur ce que ressentent les deux hommes l’un pour l’autre. L’un sera président, l’autre sorti du jeu.
8 février
Depuis les universités d’été, Raymond Barre était resté dans le flou. Quoique crédité d’une certaine avance sur Jacques Chirac, il n’avait jamais fait officiellement acte de candidature, même si nous, journalistes, le considérons comme en campagne depuis longtemps.
Aujourd’hui, les choses ont changé. Chirac fait en quelques jours une remontée extraordinaire. Depuis sa déclaration de
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