Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
cette volonté de montrer que son âge, dont il parle pourtant tellement, n’a pas d’importance. Ou plutôt si : qu’il a de la maturité, mais pas de fatigue. De la sagesse, pas de la vieillesse.
Début avril
Mitterrand a foncé tête baissée dans la campagne. Je n’ai pas le temps, comme en 1981, de la suivre jour après jour, mais Jean-Luc Mano, qui l’escorte, plaide – et je crois qu’il a raison – que son entrée en fanfare dans le combat électoral a changé la donne politique. Lorsque Chirac et Barre tenaient seuls le devant de la scène, la campagne faisait son petit bonhomme de chemin : Chirac montait, Barre tenait encore à peu près en équilibre mais sur une pente glissante. L’entrée dans la lutte de Mitterrand, outre qu’elle a réveillé la campagne, a eu pour premier effet de reléguer au second plan la candidature de Raymond Barre. Celui-ci, il me semble, ne se fait plus guère d’illusions. Il a réellement cru, à la fin de l’année dernière, qu’il était le meilleur, le plus apte, à droite, à réunir les Français autour de son nom. Depuis que Chirac s’est à son tour lancé dans l’aventure, il a commencé à en douter.
Est alors arrivé Mitterrand. Les Français le savent : il ne restera que deux candidats en piste au second tour. Inutile, donc, de se préoccuper du troisième. Ce simple calcul a fait de ce troisième homme un acteur de série B dans la série A de la course à la Présidence.
Il est vrai que Barre n’est guère aidé par les siens. En a-t-il seulement, des siens ? Dieu me garde de mes amis ! doit-il se dire en ce moment. François Léotard et le PR le soutiennent mollement. Tandis qu’au CDS, Pierre Méhaignerie n’est pas un foudre de guerre. Il est bien seul, finalement, Raymond Barre, il ne fait ni promesses à son électorat, ni concessions aux journalistes : pas la moindre petite phrase à reprendre en boucle sur les radios, pas d’images choc, pas de confidences. Il a l’air de ne pas s’être habitué aux projecteurs, de pester contre la foule qui l’entoure, c’est-à-dire le plus souvent contre ses propres supporters. D’en vouloir à Chirac d’être Chirac, et aux Français d’être ce qu’ils sont.
J’en éprouve presque de la sympathie pour lui, tant il est atypique dans une telle bagarre.
13 avril
Mitterrand n’est, paraît-il, pas content de la façon dont ses lieutenants ont relayé sa Lettre aux Français de la semaine dernière.Aujourd’hui, Marcel Debarge 12 – c’est lui qui me le raconte – avait invité à déjeuner autour de Mitterrand, au Pré-Saint-Gervais dont il est le sénateur-maire, tous ses proches. Cela s’est passé dans cet excellent restaurant, Le Pouilly-Reuilly, que je connais bien : il est situé tout à côté du domicile de Daniel Karlin, et il nous est arrivé d’y aller déjeuner lorsque nous étions à la Haute Autorité. Il ne manquait personne : Poperen, Fabius, Jospin, Bianco, Chevènement, Mauroy, Bérégovoy, tous les « ministrables » et même « premiers ministrables » étaient là. Au menu, le même pour tout le monde : œufs brouillés, homard et rognons de veau. De quoi tuer son homme.
« Vous êtes socialistes, leur a-t-il dit néanmoins, après avoir saucé son assiette, et lorsque vous entendez dire que vous n’avez pas de programme, vous ne répondez rien. Vous avez tort, nous avons le meilleur programme ! (Il veut dire : celui, à peine socialiste, de sa Lettre aux Français ). Faites campagne comme vous le voulez, sur les idées que vous défendez, vous ne me gênerez pas. »
Derrière ces phrases, comme toujours à plusieurs détentes, cette réalité : il craint que sa Lettre aux Français , idéale pour l’œcuménisme du second tour, semble trop peu socialiste aux vieux de la vieille socialistes. C’est donc à sa poignée de fidèles qu’il demande de souder autour d’eux l’électorat de gauche du premier tour. Et, pour tout dire, il trouve que ses lieutenants, mis à part Laurent Fabius, comme toujours le premier de la classe, et Michel Rocard, qui en a fait l’exégèse à Conflans-Sainte-Honorine il y a quelques jours, ont fait le service minimum.
14 avril
Les troupes soviétiques ont quitté l’Afghanistan. Chacun interprète ça comme un gage de bonne volonté donné par Gorbatchev aux Occidentaux. Ceux qui connaissent l’Afghanistan ajoutent que les Russes n’ont jamais pu, là-bas, se rendre maîtres du
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