Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Mission du bicentenaire, elle fait froid dans le dos : c’est à l’origine Michel Baroin qui devait en assurer la présidence. Bon profil, a priori : ancien grand-maître du Grand Orient de France, l’obédience la plus à gauche de la franc-maçonnerie, il était devenu, après un stage de sous-préfet dans l’Aube, maire de Nogent en 1983 ; ancien chef de cabinet d’Achille Peretti et d’Edgar Faure, il fut aussi patron de la GMF, puis de la FNAC. Mitterrand lui portait de l’estime, et Chirac ne perdait pas une occasion de clamer son amitié pour Baroin. Un choix œcuménique, donc.
Quelques mois après qu’il s’est vu confier cette mission historiqueet politique grandiose, Michel Baroin 1 a trouvé la mort dans un accident d’avion, quelques minutes après le décollage de Brazzaville. Juste un mot pour préciser que Jacques Chirac prononça, à l’occasion de son enterrement (dans une église !), il y a donc moins de deux ans, un des meilleurs, je devrais dire le meilleur discours de toute sa vie : profondément ému, il parla sans notes, pour une fois, avec une éloquence qui n’avait rien à voir avec celle de ses meetings.
Mais je clos la digression. Après Baroin, donc, sous la « cohabitation », le relais a échu à Edgar Faure. C’était également une assez bonne idée : la Mission mettait un terme à une vie entière consacrée à la politique. Membre de l’Académie française et sénateur du Doubs, Edgar avait des amis partout, à gauche comme à droite, il était le consensus personnifié : en mars, quelques jours après la mort de Baroin, il prit donc ses fonctions à près de 80 ans, avec un plaisir qu’il ne cherchait pas à dissimuler : il avait, par ce biais, un accès permanent à Mitterrand et à Chirac, au monde de la Culture comme à celui de l’Histoire. Il était, à la tête de la Mission, l’homme de l’année à venir. Il n’était pas malade à ce moment-là. Je me souviens l’avoir vu, avec Paul Granet, remarié avec une nouvelle femme plus jeune dont il disait lui-même qu’elle au moins ne le fatiguait pas intellectuellement, ce qui pouvait passer à la fois pour un compliment pour sa seconde épouse et pour un regret de la première.
Patatras ! À la fin de l’année, Edgar a été hospitalisé pour un accès de fièvre jaune qui s’est révélé être un cancer. Il est mort en deux mois, en mars 1988.
Je me rappelle avoir songé qu’il fallait un certain courage à Jean-Noël Jeanneney, que j’aime et admire, et en tout cas aucune trace de superstition pour accepter une mission qui avait déjà fait deux morts. Pour le coup, l’historien qu’il est va donner sa pleine mesure en préparant cette commémoration. Mitterrand, pour revenir à ses vœux d’aujourd’hui, nous l’a promise grandiose.
5 janvier
J’avais oublié la repartie de Mitterrand, hier, lorsque les journalistes lui ont demandé ce qu’il pensait de son image dans le « Bébête show », diffusé à nouveau cette semaine sur TF1 après un arrêt-ressourcement de six mois. Il apprécie. Je l’ai senti flatté à l’idée d’êtrequotidiennement comparé au bon Dieu. Ce qu’il n’aime pas, nous a-t-il dit, c’est que ses imitateurs le fassent parler un langage de charretier – c’est l’expression qu’il emploie – alors qu’il n’a jamais dit merde (il dit : « le mot de Cambronne » !), ni en public, ni même en privé.
16 janvier
Je trouve terrible et terriblement inutile cette affaire de l’Opéra Bastille qui revêt d’un coup une dimension politique disproportionnée. Devenu, par la grâce de Mitterrand, président de l’Opéra, Pierre Bergé 2 a démis de ses fonctions Daniel Barenboïm, chef d’orchestre renommé, directeur musical dudit Opéra. Autour de Barenboïm, l’équipe, avec Patrice Chéreau et Pierre Boulez, avait du poids. Dans ces milieux musicaux, même s’il est mélomane, Bergé n’en a pas encore. Pourquoi a-t-il chassé Barenboïm comme un malpropre ? Parce qu’il avait été nommé à ce poste par Jacques Chirac, juste avant l’élection présidentielle ? Parce qu’un contrat mirifique lui avait été accordé pour quatre mois de présence par an à Paris ?
Chirac est intervenu dans le conflit en disant qu’il avait confié en 1988 l’Opéra à « des gens compétents ». Façon de dire que Pierre Bergé ne l’est pas. Celui-ci, très sec, réplique qu’il n’y a pas « d’un côté le
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