Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
devenu patron. « Fallait-il, interroge Mitterrand, que je me brouille avec lui parce qu’il était devenu riche ? »
Réponse dans toutes les chaumières : non, évidemment pas !
En revanche, lorsque Mitterrand en vient aux « affaires » et qu’il les détaille, j’ai trouvé qu’il s’enlisait dans cette longue liste de dérapages. Il a annoncé qu’il évoquerait les quatre « affaires » qui sont aujourd’hui devant la COB : l’affaire de la Société générale, celle de Péchiney, puis aussi deux dont on ne parle guère : LVMH et Béghin-Say. Et puis, en fin de compte, il n’a évoqué longuement que les deux premières.
Il fait une distinction entre les deux premières. Pour Péchiney, dit-il, « il faudra que la justice passe ». De deux choses l’une : ou bien Roger-Patrice Pelat, qui avait vendu depuis longtemps son affaire 6 , s’est contenté de jouer en bourse, et, dans ce cas, il ne lui en voudra pas ; ou bien il a commis une faute, et il ne le soutiendra pas 7 .
Pour ce qui est de l’affaire de la Société générale 8 , il se défausse : c’est Édouard Balladur, sous le gouvernement Chirac, qui a placé la Caisse des dépôts et consignations dans le « noyau dur ». Les autres protagonistes de l’affaire ? Max Théret ? Il ne fait pas partie de son cercle d’amis. Samir Traboulsi ? Il ne le connaît pas, il n’a jamais été informé de sa demande de Légion d’honneur (qu’il lui a pourtant accordée).
L’argent et la gauche ? demande Anne, sur des œufs. Réponse de Mitterrand : Pelat n’est pas un homme de gauche. Quant aux sociétés d’économie mixte critiquées par la droite, elles restent, selon lui, la seule manière « convenable » – c’est son mot – de conduire la politique économique française.
Finalement, ce soir, François Mitterrand n’a parlé que des « affaires », et très peu des questions sociales ou des grèves récentes. Je l’ai écouté avec des sentiments mêlés : devait-il parler pour prendre ses distances vis-à-vis des hommes mis en cause ? Devait-il se contenter de dire que la Justice passerait ? Son intervention a-t-elle fait la part trop belle à ces misérables « affaires » ? Se taire était-il pour lui possible ? Je ne sais.
Au lieu de cela, il a parlé près d’une heure et demie – beaucoup plus que la durée habituelle de l’émission – et qu’en reste-t-il ? Que si Pelat a mal fait, il lui retirera un peu de son amitié.
Je reste sceptique sur l’effet de cette prestation.
Nous nous retrouvons après l’émission. Il a l’air soulagé d’en avoir fini avec cette mise au point presque insultante pour lui. Il me demande mon avis. Je réponds que j’ai trouvé l’ensemble émouvant, que lui-même s’est trouvé très à l’aise, mais que je ne mesure pas les retombées sur les Français. Lui non plus, évidemment.
17 février
Une journée, une soirée plutôt dont je me souviendrai longtemps : je n’avais jamais vécu une rupture sentimentale en direct à la télévision, eh bien voilà, c’est fait ! J’ai assisté sans le vouloir au divorce de Jacques Martin.
Dieu sait pourtant que je n’avais rien à y faire !
Cela s’est passé ainsi : à la demande de mon ami Patrick Clément, nous avions accepté, Jacques Martin et moi, de présenter ensemble l’émission inaugurale de la nouvelle chaîne de télévision marocaine, 2M International. Cela se passait dans un studio de banlieue parisienne. J’étais chargée de l’environnement politique, et Jacques Martin des vedettes, stars et autres chanteurs qui devaient animer la soirée. L’émission, heureusement, n’était pas en direct. Bref, la première partie s’est bien passée, encore que j’avais mis une veste rose fuchsia qui n’était pas du meilleur goût.
Arrive un changement de décor, prélude à la seconde partie de l’émission. Nous partons tous deux dans nos loges respectives pour attendre la reprise après un raccord maquillage. Cinq minutes, dix minutes, un quart d’heure... Je m’inquiète. Que se passe-t-il ? On me répond que Jacques Martin ne viendra pas à l’antenne et que je dois présenter seule la fin de la soirée. Je râle sec, parce que remplacer Jacques Martin au pied levé n’est pas commode, en tout cas pour moi qui ai davantage un rôle de commentatrice que d’animatrice. Et puis je n’y comprends rien : est-il malade ? victime d’une indisposition
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