Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
tout en doutant de la volonté de l’URSS de lever dans un délai prévisible la domination qu’elle exerce sur les pays de l’Est.
J’avais prévu, pour le faire parler de Le Pen, un reportage sur une députée d’extrême droite en Allemagne de l’Ouest. Sa réponse n’a pas été : il ne faut pas pactiser. Elle a été : « Il faut demeurer intransigeant sur les vertus auxquelles on croit. »
Lorsque l’émission s’est arrêtée, j’avais eu le temps de prendre conscience que remplacer Anne Sinclair était forcément casse-gueule. Cela m’a été confirmé dès le lendemain : les amis m’ont téléphoné pour me féliciter, mais beaucoup de téléspectateurs pour regretter au contraire son absence. J’ai répondu à ceux-là que ce remplacement serait de courte durée.
Cadeau empoisonné, ce « 7 sur 7 » ! Anne a son public, fidèle depuis longtemps. C’est actuellement la première vedette de la TV française. Quant à moi, mon métier est d’être plus souvent derrière les caméras que devant !
L’ennui est que je dois recommencer la semaine prochaine avec Laurent Fabius...
26 février
Fabius, je ne l’ai pas revu en tête à tête depuis l’été 1985, au cours de cette conversation, à laquelle je préfère ne plus penser, sur le rôlenéfaste de la télévision vis-à-vis des socialistes et de leur gouvernement.
C’est moi qui l’ai appelé, lundi, tout de suite après avoir reçu Édouard Balladur, pour lui demander s’il voulait venir à « 7 sur 7 ». Il m’a dit oui tout de suite. Par accord tacite, nous avons considéré que notre affrontement sur la Haute Autorité appartenait au passé. D’ailleurs, il le sait comme moi, même Mitterrand a tourné la page et vante les mérites de l’institution défunte. Il ne va tout de même pas être plus royaliste que le roi et me tenir rigueur d’une indocilité qu’aujourd’hui ceux-là mêmes qui me l’ont reprochée hier mettent au nombre des réussites du premier septennat de Mitterrand !
Il arrive donc quelques minutes avant 19 heures, habillé comme un prince, avec un air de décontraction ironique que je ne lui connaissais pas. Je le trouve beaucoup mieux dans son rôle actuel, celui de président de l’Assemblée nationale, qu’il ne l’aurait été dans celui de premier secrétaire du PS. Ce n’est assurément pas ce qu’il pense, ni ce que pense Mitterrand, puisque son échec à la direction du Parti l’a, paraît-il, beaucoup affecté. Aujourd’hui, il n’en laisse rien paraître.
Le portrait que je fais de lui en commençant l’émission ? Celui d’un vrai politique, jalousé par les siens, capable du meilleur et du moins bon, d’une sensibilité exacerbée malgré la rude école à laquelle il a été élevé, celle de François Mitterrand ; mais aussi celui d’un amateur d’art éclairé, entouré d’amis qui l’admirent, cerné par des ennemis qui lui font reproche de les mépriser. Il ne cille pas pendant que je le présente ainsi en quelques secondes aux téléspectateurs. Puis, à la première question relative à son échec face à Mauroy au sein du PS, il laisse échapper cet aveu : « Ça a été dur, au début. » Dur, il a raison : être celui que Mitterrand entend imposer aux socialistes, et devoir y renoncer ! Je ne crois pas qu’il y ait d’autres exemples depuis que Mitterrand est à l’Élysée.
Un moment fort lorsque, parlant des menaces de mort proférées contre l’écrivain Salman Rushdie, il déclare, pour une fois sans prendre de précautions : « Khomeyni est un assassin, je le dis. La vie de Rushdie est finie ! C’est scandaleux, c’est honteux ! Il faut résister. »
Sur la politique de Michel Rocard, il convient qu’il a raison, que son plan est le bon, sans que je puisse déceler dans sa voix s’il est sincère dans ses louanges ou en service commandé.
Cet homme brillant, lumineux lorsqu’il parle, est l’excellent vulgarisateur d’un socialisme modéré. Il s’ennuie au poste qui est le sien aujourd’hui, plus honorifique que politique.
1 er mars
Ça y est ! Deux nouvelles campagnes commencent : d’abord pour les municipales, puis pour les européennes. Si j’additionne le nombre des scrutins intervenus en France depuis 1988, il y a de quoi donner le tournis ! Tous les genres se sont succédé : présidentielle, législatives, cantonales, sénatoriales, municipales, européennes, sans oublier le référendum sur la
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