Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
passagère ? Dans ce cas, on pourrait peut-être patienter un peu ?
On me dit de reprendre, je finis par reprendre seule. Lorsque le tournage s’arrête, toujours pas de Jacques Martin.
Quelques minutes plus tard, son impresario-supporter et son ombre fidèle, Paul Cueusin, vient me trouver au moment où je me démaquille. Il m’explique, en excusant son ami, que celui-ci a reçu, pendant l’arrêt de notre enregistrement, un coup de téléphone de sa femme, Cécilia, lui annonçant qu’elle le quittait. Pour qui ? Pour un ami intime du couple avec lequel les Martin étaient partis en vacances d’hiver. Qui cela ? Le maire de Neuilly, Nicolas Sarkozy.
Je ne peux m’empêcher de penser que cette femme montre de la détermination. Un certain culot, aussi, car il en faut pour faire cela par téléphone ! Mais peut-être les choses ne se sont-elles pas exactement passées comme cela ; peut-être Jacques Martin était-il resté sourd à plusieurs avertissements ?
En tout cas, contrairement au précepte qui veut que, sur scène, « the show must go on », Jacques Martin – c’est dire sa détresse – n’a pas été capable d’« enchaîner ».
19 février
Anne Sinclair est hospitalisée pour quelques jours. Au moment où je pose à Mougeotte la question de son remplacement, il me dit, après un coup de téléphone à Le Lay, que c’est à moi, directeur de l’information, que cette tâche incombe. J’en suis à la fois interdite et atterrée. Parce qu’on ne remplace pas Anne Sinclair sans se voir immédiatement comparée à elle, donc critiquée. J’aurais préféré que ce soit un homme qui assure l’intérim, plutôt que moi. D’un autre côté, je suis ravie de devoir conduire une émission d’une heure, moi qui suis plutôt abonnée, le matin, à deux minutes trente de chronique ou à huit minutes d’interview.
L’invité prévu par Anne était Pierre Bergé à propos de l’affaire Barenboïm. Franchement, je n’en ai pas eu envie. La façon brutale, cassante, méprisante dont Bergé s’est débarrassé du directeur musical et a liquidé son équipe m’a choquée. Je me sens incapable de conduire une émission d’une heure avec lui. On a tout de même besoin, dans un exercice de ce genre, d’un minimum de compréhension de son interlocuteur. Au surplus, les affaires de l’Opéra de Paris intéressent assez peu de monde. Sans compter que ma spécialité, c’est la politique. J’ai donc invité d’abord Édouard Balladur.
Il est arrivé sans se presser, en avance comme à son habitude : je n’ai jamais vu cet homme-là en retard. J’ai fait pour commencer un portrait de lui en le décrivant un peu comme le mentor de Jacques Chirac, ce qui lui a fait un plaisir fou, et en parlant de son personnage volontiers précieux, et de son image, ce qui l’a moins satisfait.
Avec lui, pas d’éclats. Pas une phrase plus haute que les autres. Pas d’incorrection dans le langage ni dans le maintien. Au point que je l’ai trouvé parfois aux frontières – franchies – de l’ennui.
Je lui ai posé une première question sur la « cohabitation » et le goût, amer ou plaisant, qu’elle lui avait laissé. Pour lui, elle était inévitable, et elle n’a pas empêché que le gouvernement Chirac fasse ce qu’il voulait faire. L’occasion de donner au passage un coup de griffe à Raymond Barre qu’il rend responsable de la division de la droite, donc de l’échec de Chirac.
Sur les « affaires » et la prestation du Président, la semaine dernière, il reste plus que prudent. Il ne veut pas émettre le moindre jugement sur les protagonistes de l’affaire Péchiney, notamment sur Pelat. Il est favorable à l’extension des pouvoirs de la COB et défend bien sûr les « noyaux durs » qu’il a imaginés lorsqu’il était aux Finances. Favorable à l’économie libérale, il est néanmoins convaincu de la nécessité d’une moralisation de la vie financière.
Ça, c’était au début de l’émission. À la fin, trouvant sans doute qu’il n’était pas allé assez loin, et que cela pouvait passer pour de la révérence à l’égard de Mitterrand, il ajoute qu’il s’en remet aux juges pour faire leur métier.
Je me rappelle (inutile de préciser que je n’ai pas pris de notes) que nous avons ensuite abordé le départ des troupes soviétiques d’Afghanistan : il s’est félicité que les pauvres populations afghanes recouvrent leur liberté,
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