Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

c’est Jean-Marie Le Pen qui reflète le mieux, hélas, ce qui me semble être la réaction des gens : « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette », gouaille-t-il aujourd’hui.

    30 janvier
    Pierre Bérégovoy a été entendu aujourd’hui par la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’affaire Péchiney. Voilà qui n’arrive pas tous les jours ! Il faut dire que Samir Traboulsi, que Bérégovoy avait en si haute estime, est également suspecté de délit d’initiés. Sa proximité avec le ministre des Finances fait très mauvais effet.
    Toujours le mauvais climat, en politique cette fois : communistes et socialistes n’arrivent pas à se mettre d’accord à Paris en vue des municipales. Pierre Joxe mène la liste avec la jovialité qu’on lui connaît. Les communistes exigent qu’on leur fasse, en cas de listes communes, une place que Joxe est bien décidé à ne pas leur accorder. Mitterrand le soutient. Il fait même plus, sans doute, que le soutenir : il l’inspire.

    3 février
    Cette fois, c’est à droite que la rencontre a tourné court : Giscard et Chirac se sont vus aujourd’hui et il n’y aura pas de liste unique. Une personne n’en est pas surprise : Simone Veil, qui constate, et tous les Français avec elle, que le RPR et l’UDF sont loin d’avoir les mêmes idées sur l’Europe !

    6 février
    François Léotard à « L’Heure de vérité » que je ne regarde que quelques minutes. C’est à Michel Rocard qu’il assène ses coups. Sur le mode : peu de gens ont disposé des mêmes atouts que Rocard – il avait la sympathie des Français, une opposition divisée, une conjoncture économique exceptionnelle. « Je n’ai qu’un mot, conclut-il : gaspillage ! »
    C’est vrai. Je repense aux débuts de Rocard à Matignon, à la Nouvelle-Calédonie, à sa fameuse « méthode ». On n’a jamais su au juste ce qu’elle était, cette méthode, mais on lui en prêtait une. Or, voilà que la situation devient difficile pour lui, même si les sondages lui sont encore très favorables dans la mesure où il ne semble pas personnellement atteint par les vicissitudes du gouvernement et les mécomptes des amis du Président.
    À propos des « affaires », Léotard épargne François Mitterrand ; il se contente d’ironiser sur ce qu’on a appelé la « génération Mitterrand » : « Si c’est cela, M. Pelat, M. Théret 4 , si c’est cela, la génération Mitterrand... »

    12 février
    Pour que Mitterrand lui-même se dérange et vienne sur le plateau de « 7 sur 7 », c’est que les choses sont graves. Je le ressens comme cela et, lorsqu’il arrive, je ne cherche même pas à attirer son attention. Le Lay et Mougeotte font de même. Je ne dirai pas qu’il a l’air le moins du monde préoccupé, certes. Il est tout simplement concentré, obsédé par la peur de se laisser « désunir » au beau milieu de l’interview télévisée.
    L’émission a néanmoins été décidée dans l’urgence et c’est l’Élysée qui en a proposé le jour, alors que l’invitation était lancée de façon permanente, mais sans succès, depuis des années. Il a déclaré à Anne Sinclair qu’il parlerait des « affaires », entre autres. Qu’il parlerait aussi de l’actualité politique et sociale, maintenant que les remous dans les services publics se trouvent apaisés.
    Il n’a pas suivi le plan qu’il avait en tête. Il a parlé des « affaires »pendant la plus longue partie du temps, à tel point que j’ai pensé, en l’écoutant, que sa prestation était encore pire que le silence.
    Ce soir, je pense au contraire que je me suis trompée. D’abord parce qu’il est arrivé à faire passer le maximum d’émotion sur le cas Roger-Patrice Pelat, sur son amitié pour cet homme issu de rien, ancien ouvrier chez Renault, qu’il avait connu dans son stalag, pendant la guerre, et auquel le liaient depuis lors des relations inconditionnelles. Il faut l’avoir entendu raconter les circonstances dans lesquelles il avait fait sa connaissance : pendant « un sale hiver » où lui-même, Mitterrand, n’avait pas de chaussures, dans la neige et le vent ; c’est dans ce contexte-là que Roger-Patrice Pelat a révélé des qualités uniques 5 .
    Évidemment, ce n’est pas mal venu, au moment où la France entière s’interroge sur les délits d’initiés, de dépeindre ainsi le personnage. Pauvre, il est devenu riche. Ouvrier, il est