Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
son dentiste, son chauffeur... Pendant le discours, chacun d’eux reverrait ses propres passé et présent avec lui. Début de roman que je n’écrirai pas !
14 avril
J’avais tort en pensant que Giscard et Chirac ne trouveraient pas chacun de leur intérêt de faire liste commune aux européennes. En réalité, ils y ont tous deux avantage : Chirac pour ne pas compter ses troupes et couper les ailes à ses jeunes gens trop pressés ; Giscard, pour revenir sur le devant de la scène. C’est Giscard, donc, qui conduira la bataille à la tête d’une liste unique RPR-UDF ! Chirac n’est pas mécontent de l’opération ; parce qu’il se sent dans un « trou », il me paraît au contraire assez satisfait que ce soit VGE, dont il ne craint plus grand-chose, qui aille le premier au front.
Quant à Simone Veil, qui soutient – et elle a raison – que sur la liste commune figurent des gens dont la conception de l’Europe est caricaturalement différente, elle hésite : est-elle partante pour conduire une liste centriste et proeuropéenne, en juin prochain, alors que Giscard mène celle de l’opposition pour une fois unie ?
21 avril
J’ai reçu ce matin à l’antenne, pour la première fois, Nicolas Sarkozy, proche de Jacques Chirac, un des préposés à la lutte contre les « jeunes turcs » du RPR qui envisagent de prendre la succession. La différence avec le Sarkozy tel qu’il est souvent apparu dans les meetings publics comme représentant des « jeunes » du RPR, c’est qu’il est désormais – depuis 1983 – maire de Neuilly. Il est sec, brillant,nerveux. Tous ces jeunes autour de Chirac, que ce soit Toubon ou Sarkozy, imitent à leur façon le style de leur patron. Sarkozy est sans doute tout aussi pressé, mais plus brillant dans la forme. Pour le reste, il s’oppose à la bande Noir-Séguin et affirme, comme le ferait Chirac, qu’il ne craint rien d’eux : les forces du mouvement restent derrière ce dernier et, à son sens, on ne peut rien faire en France sans l’aide des bataillons militants. Noir n’en a pas l’ombre d’un.
Une interview « efficace », comme nous disons dans notre jargon : il dit ce qu’il a à dire, sans s’attarder, et chacun comprend fort bien ce qu’il veut dire.
En quittant l’antenne et alors que je lui demande pourquoi il reste derrière Chirac au moment même où celui-ci est « lâché » par ses jeunes, il me parle de sa filiation politique avec lui. Il me rappelle ce que j’ai déjà lu dans un hebdomadaire : c’est Jacques Chirac lui-même qui, après l’avoir entendu un jour s’exprimer à la tribune comme « jeune » du RPR, l’a convoqué en 1975 ou 1976 et lui a dit, le premier : « Tu es doué pour la politique, viens avec nous... » Ça ne s’oublie pas.
4 mai
Jean-Marie Tjibaou abattu aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie en pleine cérémonie coutumière... Quelle injustice de l’Histoire, vraiment ! Et quel chagrin, aussi : le mot n’est pas trop fort. Pour moi qui ai vécu, de loin, la guerre d’Algérie, qui ai tellement été indignée, à l’époque, par les misérables réactions colonialistes des hommes politiques français, la réussite du pacte néo-calédonien, après la mission de Christian Blanc, était un exemple. Michel Rocard, son artisan, avait, d’un coup, pris à mes yeux une nouvelle dimension.
Quand je repense a tout ce qu’il aura fallu de courage à ces deux hommes, Jacques Lafleur et Tjibaou, pour surmonter tout ce qui les opposait, faire la démarche d’aller l’un vers l’autre, et, plus encore, imposer à leurs partisans de faire de même, l’assassinat d’aujourd’hui me révulse.
5 mai
Il a dit « caduc ». Inouï ! Caduc : drôle de mot. Lorsqu’il l’a employé, en direct sur TF1, Arafat arborait presque l’air gourmand de ces étrangers qui parlent quelquefois le français mieux que nous !
Il était donc à Paris pour sa première visite officielle en France, accueilli par Mitterrand avec tout ce qu’il faut de salamalecs ; il a accepté de répondre en duplex aux questions de Patrick Poivre d’Arvor depuis l’Institut du monde arabe qu’il a visité sur le coup de 20 heures. Pourquoi à TF1 ? Parce que Catherine Gentile, plusieurs fois envoyée spéciale au Moyen-Orient, a fini, à force d’obstination, par nouer avec lui des contacts journalistiques étonnants. Elle m’a souvent raconté les rendez-vous que lui donnait Arafat,
Weitere Kostenlose Bücher