Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
actionnaire !
Comment cela s’est-il passé ? Je ne sais. Depuis le début des consultations menées par le CSA, on donnait Hervé Bourges ou Georges Kiejman gagnants. Et c’est Guilhaume qui est sorti des urnes.
Dans la presse, chacun ce matin s’ébaubit : le gouvernement a voulu l’indépendance ? Il l’a eue !
20 août
Déjeuné avec Bertrand Labrusse, membre du CSA, qui m’explique l’élection surprise de Guilhaume. Les voix des 6 membres nommés par Mitterrand et Fabius se sont d’abord partagées entre Kiejman et Bourges qui avaient tous deux des appuis à l’Élysée et ailleurs. À cette nuance près que Bourges, qui a été président de TF1 pendant quatre ans, a dû trouver saumâtre d’être convoqué comme un débutant par le CSA, tandis que Kiejman, brillant avocat qui rêve depuis des années, on ne sait trop pourquoi, de donner dans l’audiovisuel, a avoué lui-même devant les 9 membres qui l’auditionnaient qu’il n’y connaissait rien. La prestation de Bourges, visiblement irrité par son examen de passage, et celle de Georges Kiejman se sont en quelque sorte annulées, tandis que Philippe Guilhaume a été, paraît-il, beaucoup plus convaincant, plus brillant causeur aussi, ce qui est le comble face à un as du barreau et à un grand de la communication !
Bref, il y a eu plusieurs tours : les membres de gauche se sont divisés ; les trois nommés par le Sénat, au contraire, ont fait bloc. À la surprise générale, Philippe Guilhaume a obtenu 5 voix au troisième tour.
Qui a été la 5 e voix, étant donné qu’Igor Barrère 23 s’était déjà rallié à Philippe Guilhaume au second tour ? Mystère...
Labrusse m’assure que ce ne peut être que celle de Geneviève Guicheney : il a vu Augé-Lafon inscrire le nom de Kiejman sur son bulletin de vote. Il faudra que je demande à Guicheney ce qui l’a séduite dans le personnage de Philippe Guilhaume. J’ai déjeuné avec ce dernier il y a quelques mois et l’ai trouvé certes éloquent, mais presque trop : beau parleur, c’est plutôt le mot, sûr de lui, séducteur. Il doit ne pas en revenir lui-même d’avoir gagné !
21 août
Dîner, tout à l’heure, avec Gilles Martinet, rentré de Rome 24 , rue du Four. Il me raconte – ce que les journalistes savent plus ou moins – que les choses ne vont plus du tout entre Rocard et Mitterrand. Au début de l’année dernière, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il y a même eu, me rappelle-t-il (cette rencontre suscita d’ailleurs quelques indiscrétions dans la presse), une réunion au sommet à Matignon, en mai dernier, pour fêter le premier anniversaire de l’arrivée de Rocard à Matignon. Mitterrand, entouré de quelques-uns de ses principaux collaborateurs à l’Élysée, dont Hubert Védrine et Jean-Louis Bianco, est venu déjeuner à Matignon à l’invitation du Premier ministre. Cela ne s’était jamais fait. Les conseillers du Premier ministre, qui, dans le fond, connaissaient assez peu Mitterrand, l’ont trouvé charmant. C’était pour mieux vous manger, mes enfants !
Aujourd’hui, Gilles m’assure que le climat s’est notablement dégradé. Il paraît que Mitterrand rigole quand on lui parle de la « méthode Rocard », et que Rocard souffre de ses relations ambivalentes avec le chef de l’État : d’un côté, Rocard est le chantre de la « nouvelle gauche », il n’a rien de commun avec Mitterrand, ne partage pas son analyse historique du socialisme et pas davantage son analyse économique. De l’autre, il est son Premier ministre et fier de l’être. Mais il a en travers de la gorge la façon dont Mitterrand s’est désolidarisé de lui lors des conflits sociaux de la fin de l’année dernière. Et sa manière, depuis le printemps dernier, de déplorer,comme si c’était exclusivement la faute de Rocard, tout ce qui ne va pas dans la société actuelle. Un jour Mitterrand regrette publiquement que le fossé entre riches et pauvres s’approfondisse au lieu de se combler. Comme s’il n’était pour rien dans la politique du Premier ministre qu’après tout il a choisi ! Un autre jour, après l’ascension traditionnelle de la roche de Solutré cette année – Martinet me le rappelle –, Mitterrand confie autour de lui, du ton le plus naturel, que Michel Rocard a parfois besoin d’être rappelé à l’ordre 25 . Et puis, ajoute Martinet, les « affaires » ont hérissé Rocard,
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