Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
nous, en Tchécoslovaquie : nous finissons toujours par suivre les autres. Si le monde communiste se libéralise, nous serons les derniers à en prendre acte, mais nous nous libéraliserons nous aussi ! »
Et de nous raconter la légende, bien connue en Tchécoslovaquie, du brave soldat Schweick arrivant au combat comme les carabiniers lorsque la guerre est finie...
Autre signe de (timide) ouverture vers l’Ouest : dans la vieille ville, sur le pont Charles, dans la Male Strana, il y avait avec nous quelques touristes flânant avec émerveillement dans l’univers du « croissant baroque » cher à Dominique Fernandez 21 .
Sur l’autoroute qui nous amenait de Prague à Budapest, l’étape suivante, nous avons été frappés par la multitude de petites Trabant 22 brinquebalantes, immatriculées en Allemagne de l’Est, qui, chargées jusqu’à la gueule de valises en carton, roulaient le plus vite possible en direction de la capitale hongroise. Nous nous sommes posé la question : où allaient ces gens ? Les Allemands de l’Est prenaient-ils leurs vacances sur le lac Balaton, comme Roland Leroy, un temps, avait coutume de faire ? L’autre possibilité était qu’ils profitent de l’ouverture de la frontière entre l’Autriche et la Hongrie, officielle depuis le mois de juin ? Les familles que nous dépassions sur cet autoroute reliant l’Allemagne de l’Est à la Hongrie, via Prague, étaient-elles en congé ou bien en fuite ?
Nous avons tout compris en arrivant à Budapest.
Nous avons rencontré là un ancien journaliste communiste qui, notamment aux temps les plus verrouillés de la République démocratique hongroise, avait présidé l’Association des journalistes de cepays : il avait donc été intimement associé au système communiste. C’est lui qui nous a expliqué aujourd’hui le bouleversement politique inouï que vit la Hongrie. Tout a changé depuis qu’en février dernier la commission centrale du MSZHP a approuvé le principe d’une « transition graduelle et consciente » – ce sont les termes de la résolution adoptée – vers le multipartisme. Cela, nous le savions, mais sans mesurer le formidable mouvement de libéralisation qui s’est emparé depuis lors de la Hongrie avec le concours et le soutien d’une majorité de la population. La ruée des petites voitures est-allemandes s’expliquait ainsi par le désir de gagner au plus vite Budapest et d’y obtenir un visa pour l’étranger.
La personnalité de notre interlocuteur nous fascine : il s’agit d’une sorte de colosse qui a donc occupé un poste important sous Kadar. Présider l’Association des journalistes, ce n’était pas rien, à l’époque où le pouvoir communiste ne rigolait pas avec la presse ! Eh bien, aujourd’hui, il a abandonné le PC et adhéré à un petit parti qui lutte tant bien que mal pour exister. Et c’est lui qui nous explique ce qu’il faut bien appeler l’« explosion hongroise ». Surprenant ! Quand a-t-il été le plus sincère ? Quand il nous parle de la libération à Budapest ? Quand il était journaliste officiel ? Peu importe : l’homme est chaleureux, sympathique, et sans lui sans doute n’aurions-nous pas été en mesure d’analyser aussi clairement ce qui se passe ici en Europe de l’Est.
30 juillet
Nous avons quitté Budapest, ce matin, en direction de Vienne. À l’arrière de la voiture, pendant que je conduisais, Paul-Marie consultait la presse hongroise de langue anglaise. Le résultat d’une élection partielle l’a fait bondir : un ecclésiastique avait été élu au Parlement la semaine précédente ! « C’est l’éradication du communisme », a commenté Paul-Marie d’un ton définitif.
Sur ce jugement sans appel, nous sommes revenus à Salzbourg, dans le monde occidental, dit hier encore, par opposition, le « monde libre ».
11 août
Je me marre, je me marre ! Le CSA vient, pour sa première nomination, de désigner Philippe Guilhaume comme président commun de la 2 et de la 3 ! Philippe Guilhaume, nommé à la présidence de la SFP par Jacques Chirac en 1986, neveu par alliance de Jacques Chaban-Delmas, candidat de l’opposition à ce poste !
Il paraît que Mitterrand est fou de rage : il ne souhaitait pas une présidence commune pour le service public, il a laissé faire Catherine Tasca et Lang, et voici que l’ensemble de ce service public est confié à un adversaire politique de l’État
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