Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
aînés, et la conviction de pouvoir faire mieux.
3 juillet
Catherine Tasca est arrivée à imposer à François Mitterrand l’idée d’une présidence unique pour la 2 et pour la 3. Ce qui me paraît à moi une fort mauvaise idée. Pourquoi ? Parce que c’est reconstituer l’ORTF. Les syndicats en expriment certes le désir depuis ce qu’ils appellent la « rupture » de 1974 19 . De là à imaginer le retour à une usine à gaz qui avait fait la preuve de sa lourdeur... J’entends bien que, face à TF1, il faut un audiovisuel public fort. Est-ce le rendre fort que de faire perdre leur identité à Antenne 2 et à FR3 ?
Il paraît qu’au premier Conseil des ministres où le projet a été évoqué, en avril dernier, Mitterrand lui-même n’était pas très chaud. Mais Catherine Tasca y tenait au point d’offrir sa démission si elle ne l’obtenait pas. Il n’a pas eu envie de provoquer une crise avec elle sur l’audiovisuel.
14 juillet
Le dirai-je ? Je me suis un peu ennuyée à la parade du Bicentenaire ! Je me trouvais à la tribune, sur la place de la Concorde, tandis que cameramen et commentateurs s’en donnaient à cœur joie. Quel spectacle, en effet, quelle armée de danseurs, animateurs, musiciens – on dit qu’il y en eut 6 000 ! –, quels costumes rutilants, d’une folle imagination ! C’est le rythme, je pense, qui était un peu lambin. Il faut dire que lorsqu’on compare à un traditionnel défilé militaire du 14 Juillet, les troupes (civiles) mobilisées aujourd’hui étaient dix, vingt fois plus nombreuses. Il fallait bien que les différents groupes de figurants stationnant dans les rues adjacentes à l’Étoile aient le temps, entre chacun d’eux, de se regrouper, de s’ébranler, de descendre les Champs à leur allure, souvent ralentie par le poids et le volume de leurs costumes. Entre les groupes, je me suis surprise à quelques reprises à étouffer un bâillement.
Mais quelle beauté, tout de même, dans le soir tombant, que cet immense défilé ! Et la voix de Jessie Norman, immense silhouette dont la voix unique marqua la fin de la cérémonie !
Une absence remarquable et remarquée à ces fêtes fastueuses : celle de Jacques Chirac. Maire de Paris, il aurait pu, à ce titre, se mêler du déroulement des célébrations. Il s’en est bien gardé. Il m’a confié l’autre jour qu’il s’agissait d’une initiative mitterrandienne jugée par lui trop coûteuse, et qu’il ne voyait pas pourquoi il aurait cherché à s’y associer.
Cette bouderie municipale n’a pas empêché le Président d’inviter à Paris 32 chefs d’État et de gouvernement, tous présents à la tribune pendant le défilé : ils se sont tous retrouvés, le surlendemain, pour le sommet baptisé « de l’Arche » (de la Défense), ayant ainsi combiné au cours du même voyage le plaisir des yeux et les obligations de la diplomatie.
18 juillet
En guise de vacances, le grand défilé terminé, nous avons décidé, Paul-Marie, Danielle de La Gorce et moi, d’aller en voiture regarder ce qui se passe dans les pays de l’Est quatre ans après l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev. Aujourd’hui nous sommes à Budapest. Auparavant, nous avons passé quelques jours à Prague, notre première étape. Nous avons déjeuné avec le président de la télévision tchécoslovaque que j’avais rencontré deux ou trois ans auparavant à l’occasion d’une discussion de représentants de l’UER 20 avec leurs homologues de l’Est. Autant il m’était apparu rigide en 1986, autant il semble aujourd’hui plus loquace, moins terrorisé par d’invisibles autorités. Dans les rues de Prague, pourtant, rien ne semble avoir changé, tout semble rentré dans l’ordre après les journées anniversaires de la mort de Jan Palach, au début de l’année, et la répression qui a suivi.
Au début du repas dans ce (très bon) restaurant de chasse où ilnous a invités, nous n’abordons pas les problèmes de la perestroïka et des mouvements oppositionnels au communisme qui ont lieu ici et là, particulièrement dans la Hongrie voisine. Puis je ne sais lequel de nous s’enhardit et demande à notre hôte son sentiment sur l’état du monde communiste après plusieurs années de règne de Gorbatchev. Le président de la TV (son nom est inorthographiable) éclate de rire et nous rassure aussitôt : « Soyez tranquilles, nous dit-il ; il n’y a pas de problème chez
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