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Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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mendésiste de cœur et de culture, l’intéresse ; quant à moi, il me connaît depuis longtemps, et m’accepte sans barguigner.
    Le projet date de quelques semaines déjà. Il nous a fallu d’abord convaincre ses proches ; nous sommes là aujourd’hui pour achever de le convaincre lui-même. Nous n’avons pas beaucoup d’efforts à déployer : il est inquiet de ce que nous allons faire de son texte, mais ravi à l’idée de nourrir un documentaire de trois heures pour TF1. Il nous demande à plusieurs reprises quelle sera la forme des émissions, la proportion d’archives et d’interviews, combien de temps durera l’enregistrement. Plusieurs heures, lui répondons-nous. Il ne comprend pas : « Vous me dites qu’il y a trois fois cinquante minutes d’interview ; pourquoi faut-il alors que je vous parle plusieurs heures ? » Nous lui expliquons le montage, la nécessité de disposer d’un assez gros volume de bandes pour choisir les meilleurs passages. Cela ne lui va pas du tout. Il pense pouvoir répondre du mieux possible en trois heures pour une émission de trois heures. Il a peut-être peur que nos coupes dénaturent son propos. Nous n’insistons pas. Nous savons tous trois que les hommes politiques, une fois lancés, ne s’arrêtent plus. Nous verrons bien. L’essentiel est que nous puissions nous lancer dans l’évocation de son septennat à partir de ses écrits, et avec lui.

    9 novembre
    Commencé, de 10 heures à midi, les enregistrements avec Giscard. Il a accepté qu’il y en ait d’autres, en novembre, peut-être même en décembre.

    11 novembre
    Une nouvelle fois, scène inouïe entre Patrick Le Lay et moi. Il m’a traitée de conne, je l’ai traité de pauvre type. Mes jours à TF1 sont comptés, d’autant plus que j’ai offert ma démission.
    Cela n’a pourtant aucune importance à côté de l’événement dont je viens de vivre les débuts ! Voilà une journée dont le souvenir restera gravé à jamais en moi, pour deux raisons au moins.
    La première, de loin la plus capitale, à l’évidence, c’est la chute du mur de Berlin, avant-hier 28 . Avec Robert Namias, nous avons décidé de faire une émission depuis le Mur, le samedi en début d’après-midi. Nous partons le samedi matin aux aurores. Dans l’avion loué par TF1 : Claude Cheysson, ancien ministre des Relations extérieures, Simone et Antoine Veil, ainsi que Jean Boissonnat. Nous devons enregistrer, à 14 heures, un débat dans un car-régie, à la guerre comme à la guerre, à quelques mètres de la déchirure qui fend ce mur que l’on croyait éternel.
    Lorsque nous arrivons, tôt dans la matinée, nous sommes bouleversés par ce spectacle inouï : des gens pleurent et rient, le Mur cède, depuis quarante-huit heures, sous les coups de pioche, de bêche, de n’importe quoi. Ce que nous croyions il y a quelques jours encore immuable vole en éclats. Ce que nous pensions être une coupure irréversible entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest, ce mur de la mort qui a si longtemps coupé Berlin en deux, vient d’être abattu par le peuple. Pas par nous, les Occidentaux, aussi impuissants qu’inutiles, figés dans nos idéologies et nos certitudes. Pas par des militaires ni par les services secrets américains. Par le peuple allemand, par les communistes allemands !
    Claude Cheysson croit bon de souligner que ce sont les soldats, et non les policiers, qui apparaissent sur le mur entrouvert, et il en tire cette conclusion : « Les soldats symbolisent la permanence des deux États allemands ; l’unité entre l’Allemagne de l’Est et celle de l’Ouest n’est pas pour demain. » Plus prudente, Simone Veil se contente d’émettre cette belle phrase : « Tout cela, répond-elle, montre qu’on ne prédit pas l’avenir. Ce sont les hommes qui le font ! »
    Moi, je ne vois que de jeunes habitants de l’Est qui changent de monde et changent le monde en franchissant simplement l’espace de quelques mètres.
    L’émission est prévue pour 13 h 15, sitôt après le journal, en lieu et place de « Reportages 29  ». Dès midi, les techniciens, qui ont fait levoyage et se sont installés avant nous, me signalent que le faisceau avec Paris est interrompu. La raison : toutes les télévisions sont sur le terrain, les Américains de CNN et, d’une façon générale, les journalistes des chaînes d’information continue du monde entier accaparent les réseaux.

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