Camarades de front
las : – Il ne le pourrait plus aujourd’hui, et si vous échappez aux bandes de Himmler,, ailleurs il y aura d’autres Himmler. Vous resterez des persécutés.
Porta se pencha et donna deux cents marks au vieux juif.
– Voilà pour ta nouvelle vie quand tu l’auras trouvée. Ce jour-là, envoie-moi une carte postale !
Le juif caressa l’argent avec un petit sourire et dit : – Où devrais-je t’écrire ?
Porta haussa les épaules : – Qui sait ? – sa voix devint plus grave. – Quand tu verras un casque rouillé par terre, frappe sur le casque et demande « Qui est-ce qui pourrit ici ? » Si c’est le mien je te répondrai : « Un pauvre idiot de l’armée allemande. » Alors, glisse ton mot sous le casque et je viendrai le chercher, une nuit, à la pleine lune.
LE JUIF
– Je t’aime, lui dis-je.
C’était au moins la vingtième fois. Le pensais-je enfin ? Elle se mit à rire en plissant les fines rides de ses yeux, et nous nous assîmes sur le sofa pour regarder l’Alster par la fenêtre. Un bateau s’y balançait, un vieux bateau bondé de gens.
Elle passa le doigt sur mon nez cassé : – Cela t’a fait mal quand on t’a cassé le nez ?
– Un peu sur le moment, mais surtout après.
– Tes yeux sont froids, Sven, même quand tu ris ils restent durs. Essaye de les rendre plus doux.
Je haussai les épaules : – Les soldats de Hitler sont faits pour être sans pitié.
– Allons, tu n’as rien d’un soldat de Hitler. Tu es un gamin à qui on a collé un vilain uniforme avec du métal sur la poitrine. C’est la guerre qui est mauvaise, pas les hommes. Embrasse-moi, serre-moi contre toi, montre que tu n’es pas mauvais.
Je l’embrassai encore, je la serrai contre moi. Dans la rue un tramway freina bruyamment.
– De quoi peux-tu bien avoir Peur en civil ?
– D’un imbécile.
– Tu parles mal,
– Je le sais, mais c’est ainsi qu’on parle dans mon métier. On ne peut pas tuer poliment ; on ne peut pas dire : je vais aux toilettes, et puis s’accroupir sur une voie de chemin de fer avec huit cents hommes et cinquante paysannes qui vous entendent péter et vous voient vous torcher avec une feuille.
– Tu es épouvantable. – Elle se redressa sur le coude et plongea dans mes yeux : – Tu ne réussis pas à imiter les autres ; tu as peur de toi-même. – Elle m’embrassa encore passionnément.
Nous étions de nouveau étendus l’un près de l’autre et nous regardions le plafond.
– Que j’aimerais aller à la chasse, rêvai-je tout haut. Les canards sont bons à cette époque-ci et ils viennent de l’est.
– Oui, nous chassions souvent le canard, mon mari et moi, dit-elle, – Elle se mordit les lèvres, mais trop tard.
– Où est ton mari en ce moment ? demandai-je, bien que ce détail me laissât indifférent.
– En Russie avec sa division. Il est colonel avec des feuilles de chêne à son col.
Je souris : – Nous appelons ça la salade. Ton mari est un héros ? C’est probable s’il a le fer avec la salade.
– Tu es méchant, Sven. Il est comme toi officier de réserve.
– Je ne suis pas officier de réserve, Dieu m’en garde ! dis-je en crachant le mot.
– Je veux dire : il est comme toi, il n’aime ni la guerre ni le Führer.
– C’est inouï le peu de gens, qui aiment Adolf. On se demande vraiment comment nous l’avons sur le dos.
– Vraiment, tu n’as jamais pu le sentir ? dit-elle en me scrutant.
– Si, Gisèle, autrefois, il y a très longtemps, j’ai cru en lui. Grand Dieu ! Comment a-t-on pu croire en ce bouffon ?
– Bouffon ? dit-elle incrédule. Vois-tu en lui quelque chose de risible ?
– Non, tu as raison, il ne porte pas à rire, mais maintenant je ne crois phis en lui. Et ton mari, l’aimait-il ?
– Au début, oui. Il pensait qu’il sauverait l’Allemagne.
– De quoi ? demandai-je.
– Je ne sais pas, mais c’est ce qu’ils disaient tous. En tout cas, il vous a donné du travail et du pain.
– Le pain est rationné et le travail a changé de nature, mais tais-toi maintenant, sorcière, je n’ai guère envie d’en parler.
– Tu es impossible, Sven, dit-on sorcière à celle qu’on aime ?
– Toutes les femmes sont des sorcières ou des putains. N’es-tu pas venue un soir au « Vindstyrke U » parce que tu voulais essayer d’être une putain ? Il te fallait de la prostitution. Lisa a eu ce qu’elle cherchait, mais toi, tu
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