Camarades de front
avait hautement protesté. Il s’était arrangé à temps pour faire crever la pouliche grâce à ses bonnes relations avec le médecin-chef. Inouï ce que ça pouvait être difficile de tuer une femme… Il avait bien fallu demander la piqûre d’essence.
Un truc bien, aussi, d’avoir été retenu pour Birkenau, où il avait été nommé à la section des liquidations. Au début, cela faisait tout de même un petit quelque chose surtout quand des milliers de juifs arrivaient pour recevoir la dose de zyclon B. Mais on s’habitue à tout, et il ne savait vraiment pas le compte de toutes les juives qu’il avait liquidées.
Un jour tout de même, il n’eut pas de chance, le jour le plus sombre de sa vie, celui où on le renvoya du service de liquidation. Ce fut le S. S. Untersturmführer Rochner qui lui valut ça, et uniquement pour le viol d’une Roumaine. Parlez-moi des copains ! On fondit sur lui et sur ses quatre acolytes et on décida de l’envoyer à la section d’éducation de combat à Cracovie. -Mais il y coupa à cause d’un pied infecté. Mille marks pour obtenir cette infection du pied, et pourtant la déveine s’acharnait. Il fila directement sur Klagenfurt, au régiment S. S. « Der Führer ». Un régiment de salauds qui n’aspiraient qu’à une mort héroïque…
Ce furent des mois de sueur, de désespoir et de trouille, jusqu’à ce qu’il s’enfuit du front, à Kharkov, dès le premier jour de son arrivée. Conseil de guerre, dégradation, prison et Torgau. Il tremblait encore au souvenir de Torgau, cette atroce prison ! Et puis, le bouquet… cet épouvantable régiment disciplinaire avec des criminels de la plus affreuse espèce.
Et maintenant, ces gens de sac et de corde osaient le juger, lui le soldat du Führer, le vétéran des nazis ! Il se gonfla, mais son courage s’enfuit par tous les pores lorsqu’il regarda Porta, Petit-Frère et le légionnaire.
On ne savait jamais ce que ces psychopathes pourraient inventer… des animaux… ils pouvaient manigancer le pire. Kraus pensa au capitaine Meyer,
à Tobersturmführer Gratnohil, au Sonderführer Hansen… La sueur perlait, glacée, à son front. Devait-il appeler à l’aide ? Peut-être y avait-il quelques camarades S. S. dans le voisinage… Dénoncer enfin ces cochons, quel plaisir ! Il y aurait quelques balles dans la nuque et ce ne serait pas trop tôt !
Mais que diable ! Voici Porta qui s’avançait… tout doucement… Ne me touche pas ! voulut-il crier, mais pas un son ne traversa ses lèvres. Sa langue était épaisse, gonflée, sèche ; la sueur lui coulait dans le dos. Le légionnaire, ce monstre du Maroc, cette sale bête balafrée venait en souriant vers lui. Et ce gorille de Petit-Frère… et même Julius Heide, un frère d’armes… ils marchaient un peu courbés comme s’ils voulaient charger. Brandt, ce voleur, tira son couteau.
Ils n’allaient tout de même pas le tuer ! Ce n’était pas possible ! Alte avait parlé de meurtre. Et pourtant ils avaient tué Hansen, lentement, c’était un meurtre. Et Gratwohl, ils l’avaient pendu, c’était un meurtre. Et le capitaine Meyer, ils l’avaient fusillé, c’était aussi un meurtre… Ces horreurs ! Ces traîtres à la patrie. Il se défendrait… il allait tirer…
Un bruit métallique. Mon Dieu ! Porta lui avait fait tomber sa carabine des mains.
– Non, non ! cria-t-il quand le légionnaire lui envoya un coup de pied dans l’entrejambes.
Ils souriaient, leurs dents serrées découvertes. Allait-il mourir aujourd’hui ? Mais c’était affreux… la vie, la belle vie… ! Il avait fait son devoir, rien d’autre. Comprenaient-ils ça, ces criminels ?
Alte le regardait sans parler, avec des yeux sombres, des yeux qui n’étaient plus ceux d’Alte. Il était son ennemi, il ne dit pas : « C’est un meurtre. »
Le cercle se resserrait. Ils l’entouraient, tout proches. Lui se tenait au milieu comme la tache blanche au centre de la cible. Ils frappèrent. Une souffrance indicible traversa son corps de la tête aux pieds. Il cria en tombant, comme Gerhardt avait crié.
– Jésus-Christ, aidez-moi. Sainte Vierge, aidez-moi. Ah ! pria-t-il sans qu’on l’entendît, je me ferai prêtre pour le reste de ma vie. Mon Dieu je vous servirai, je ne vous renierai plus jamais. Sauvez-moi de ces démons !
Les montagnes se renversaient, le ciel s’ouvrait… ils l’attachèrent avec des cordes serrées et le laissèrent
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