Camarades de front
là, sanglant, sans faire attention à lui, pendant qu’ils fumaient en silence.
Puis un peuplier fut courbé vers la terre. Il savait ce qui allait se passer. Son hurlement fut celui d’une bête, peut-être était-il devenu fou. Mais seul Satan dut l’entendre et s’en réjouit.
Ainsi mourut le S. S., tous les membres, toutes les articulations déchiquetés. Il cria pendant dix minutes avant de mourir. Porta trouva que c’était trop court. Nous jetâmes son corps dans une gorge étroite et la section continua son chemin. Près d’une nouvelle ruine fumante nous rencontrâmes une bande de S. S. mais personne ne tira et le cri du légionnaire « Allah el Akbar ! » ne retentit pas dans la montagne. Notre soif de sang était étanchée.
Gisèle dormait. Je l’embrassai, elle se réveilla, s’étira et m’embrassa avec passion. Elle avait dormi très longtemps.
– Alors le juif que vous aviez rencontré, est-il mort finalement ?
Je l’embrassai sans répondre. Elle rit et nous retombâmes enlacés, puis elle redemanda : – Est-il mort ?
– Non, un juif ne meurt jamais.
– Il faut bien tout de même qu’il meure un jour, dit-elle étonnée.
– Non. On ne peut tuer un juif. Il continue à vivre malgré la haine, malgré les persécutions.
– Je ne comprends pas, mais ça ne fait rien. Ces choses m’ennuient, j’aime bien mieux faire l’amour.
On avait fait le ménage en grand au bordel où de nouvelles pensionnaires étaient arrivées.
L’énorme poisson qui était suspendu au-dessus du bureau de Madame avait disparu pour faire place à une tête de taureau. Quelqu’un avait accroché un bas extra-fin à l’une de ses cornes, l’autre portait un slip bleu ciel.
Une femme complètement nue dansait sur une rangée de tables. Elle se tortillait en dansant pendant que des projecteurs faisaient jouer des lumières colorées sur les parties les plus intimes de son anatomie.
Le public hurlait, et Petit-Frère dépassait toutes les limites. On dut l’assommer d’un coup de bouteille pour le calmer.
PETIT-FRERE SE FIANCE
CE jour-là, j’arrivai à l’hôpital juste avant la visite.
Le docteur Mahler s’arrêta près du lit de Mouritz et jeta, comme il le faisait toujours, un coup d’œil sur les papiers que lui tendait Boule de suif. Il sifflota un peu, puis regarda attentivement Mouritz, k volontaire sudète.
– Comment se porte notre aventurier, aujourd’hui ?
– Pas très bien, Monsieur le médecin-chef, dit Mouritz dans les meilleures traditions du métier militaire.
– Vraiment ? Vous n’êtes pas si malade que ça, cher ami. – Il se retourna et avisa Petit-Frère qui se tenait tout droit dans son lit, ses mains à plat sur le drap et l’air merveilleusement bête.
Le docteur Mahler sourit et se remit à siffloter : – Le patient se sent mieux ? – Petit-Frère haleta de peur, mais Mahler ne l’entendit pas. – L’état général du patient est somme toute excellent. Il demande à être envoyé au bataillon de convalescence de sa division. – Petit-Frère se redressa d’un seul coup, avec un regard à vous fendre le cœur. – On pourra lui signer sa feuille de sortie… voyons…
– Mardi, le 9, souffla Boule de suif.
Le docteur Mahler eut un fin sourire pâle : – Bien, infirmière, le sept.
Petit-Frère ouvrit la bouche, la frayeur lui sortait des yeux et il ne comprenait pas plus que nous ce qui prenait au docteur Mahler. Mais, au soulagement général, le médecin se tourna vivement vers le lit de Mouritz et lui tendit la main.
– Bonne chance ! Espère que vous vous êtes bien reposé chez nous.
Petit-Frère retomba sur son oreiller avec l’impression d’être au paradis.
– Le patient paraît un peu pâle, dit le docteur Mahler en arrivant au lit du géant.
Boule de suif renifla et tendit une feuille où il était question davantage de punitions pour indiscipline que de maladie. Le docteur se livra à une auscultation minutieuse de 1a puissante cage thoracique.
– Le patient a une notable difficulté à respirer, dicta-t-il. Haleine remarquablement mauvaise et langue très chargée. – La langue de Petit-Frère pendait au-dehors comme un énorme morceau de viande pourri de tabac et d’alcool. – Et à part cela, comment allez-vous, mon ami ? continua le docteur sarcastique.
– Monsieur le docteur, quand je suis allongé, assez bien, mais, dès que je me redresse, ça ne va plus du tout, dit une voix
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