Camarades de front
légionnaire. Les bâtards de Himmler ne sont rien d’autre ! Qui m’accompagne ? Levez la main.
Porta, Petit-Frère, Heide, Brandt levèrent le poing. A contrecœur nous suivîmes. Le dernier fut Stege avec un regard d’excuse vers Alte.
– Par Allah ! c’est une fête, dit le légionnaire en se levant. Il posa la main sur l’épaule d’Alte. – Nous te comprenons, mais comprends-nous, toi aussi. Les S. S. ne peuvent plus se venger, c’est fait, tout brûle. Nous conduiras-tu comme tu l’as toujours fait au front ?
Alte secoua la tête : – Je vous suivrai parce que j’y suis obligé, mais je ne conduirai pas un assassinat.
Le légionnaire haussa les épaules : – Bien les gars, suivez-moi.
Nous atteignîmes l’orée du bois en escaladant des obstacles qui auraient fait reculer des chasseurs alpins, mais la vengeance nous donnait des ailes. Heure après heure nous progressions, nous frayant un chemin à travers les épines avec nos pelles et nos haches. Nos mains étaient en sang, mais le légionnaire nous houspillait, plus fanatique que quiconque. Harassés, nous le menacions de nos armes, mais il riait, méprisant, et criait à tons vents son cri de guerre marocain.
Enfin nous arrivâmes à la première ferme. Une ruine fumante et trois cadavres recroquevillés, deux femmes et un enfant.
Alte ferma à demi les yeux ; il était blême. Nous étions des fauves de guerre qui avaient tout vu, mais nos mains se crispèrent un peu plus sur nos armes et nous nous précipitâmes plus loin, à la suite du légionnaire. Une heure plus tard, nous découvrîmes deux autres cadavres ; deux hommes tués d’une balle dans la nuque. Le légionnaire les retourna, les visages n’étaient qu’un trou.
– P. 38, décida Porta en tâtant l’orifice avec le doigt.
Sur les cadavres, aucun papier. On avait tout enlevé.
– C’est peut-être aussi bien l’ouvrage des partisans, insinua Kraus, le lâche.
– Sûrement ! dit Bauer en éclatant de rire comme nous tous.
Alte retira sa pipe et parla sous le nez du S. S. : – Je peux mot pour mot te dire ce qu’il y aura demain dans les journaux du pays : Des paysans pacifiques ont été assassinés par des bandits. Us ont brûlé en plus trois villages et plusieurs fermes. La répression va suivre au plus tôt. Signé : Heinrich Himmler. Ensuite, le S. S. Standartenführer Blobel, sur l’ordre du Führer en chef de la police Brach, fera les exécutions d’usage. Pour plus de sûreté on notera que les bandits portaient des uniformes allemands. Ils pensent à tout au R. S. H. A. (Département supérieur de la Sécurité du Reich).
Porta passa son doigt sur la blessure de l’un des assassinés, puis renifla.
– Gangrène premier stade.
– Tiens ! Tout comme les cadavres jaunes de Dobrovina, dit le légionnaire.
Porta hocha la tête et renifla de nouveau : – L’autre a fait dans sa culotte.
– C’est ce qu’ils faisaient toujours quand nous les gazions à Birkenau, dit tout à coup le S. S. Kraus.
Il y eut un silence terrible. Nous oubliâmes les cadavres parce que quelque chose venait de surgir, quelque chose d’un intérêt diabolique. Tous les yeux se tournèrent vers le grand S. S., celui qui avait été rejeté par ses pairs, dégradé, et envoyé dans un régiment disciplinaire pour cause de désertion.
– Tiens, tiens… et qu’as-tu vu d’autre à Birkenau ?
Le S. S. blêmit, il en était presque vert. Ce qu’il avait caché avec tant de soin pendant trois ans venait de lui échapper inopinément. Durant des nuits d’insomnie, il avait craint d’être trahi, par quelqu’un du secrétariat par exemple, le sous-officier Julius Heide entre autres, qu’il avait retrouvé parmi nous. Quelle panique n’avait-il pas ressentie à la vue de Heide ! Fallait-il le supplier de se taire en payant ce qu’il demanderait ? Mais peut-être Heide n’avait-il pas tout su… Autrement, c’était impensable qu’il se soit tu si longtemps… Kraus avait bien essayé d’être muté, mais le capitaine von Barring avait dit : « Pas question. » Salaud de von Barring, comme tous ici dans cette section de malheur ! Des traîtres à la patrie qui devraient bien être liquidés…
Puis advint la chose inouïe : personne ne l’avait trahi, mais ce fut lui-même qui le fit. Il adressa une prière mentale au Dieu qu’il avait abjuré eu 1938, lors de son entrée dans la section infâme. Comme il avait été fier de
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