Carl Justav Jung: Vie et Oeuvre de Carl Gustav Jung (French Edition)

moi (d'auto-conservation) est considérée par lui comme "pulsion d'intérêt". Par contre, pour Jung, l'énergie est une, et la sexualité n'est que l'une de ses expressions. Pour Jung, porté vers l'occultisme et les connaissances ésotériques, la libido devenaient une énergie en soi, une sorte de moteur de la vie. C'est ce que Freud baptisait son "monisme".
    Le désaccord portait donc sur les fondements même de la théorie analytique. Au début de leur rencontre, ils analysaient en commun des oeuvres littéraires, comme les nouvelles de Wilhelm Jensen. Déjà Car Gustav Jung montrait, notamment dans l'examen de mythes, de rites religieux, une adresse qui le rendait très sûr de lui en la matière. Sigmund Freud, peut-être stimulé par lui, voulut déterminer le caractère obsédant des rites religieux. En 1913, il acheva Totem et tabou , le plus contesté de ses ouvrages. Dans ses lettres, il déclare que, depuis La Science des rêves , il n'avait plus travaillé à rien avec autant de conviction et de joie.
    Jung se déclare en opposition totale avec les conclusions de Freud. Le Viennois proteste: son disciple est trop optimiste. Il croit au "progrès de l'humanité, de la culture, du savoir... selon une ligne continue". Mais n'y a-t-il pas toujours eu, après chaque révolution, des réactions, des restaurations ? Combien de fois une époque n'avait-elle pas "fait marche arrière, renonçant ainsi à l'acquis d'une génération précédente" ? Jung, bientôt au nom du même progrès continu d'une génération à l'autre pense avoir raison contre Freud parce que la jeunesse a raison contre les anciens. Freud s'indigne de cette "révolte libératrice de la jeunesse": "Après tout, ce n'est pas l'âge de celui qui agit, mais le caractère de l'acte qui emporte ici la décision".
    Il trouve la théorie de Jung "obscure et embrouillée", lui reproche de disloquer "le lien des phénomènes avec la vie instinctive". Il va jusqu'à traiter ce refus de reconnaître le caractère sexuel de toute pulsion de "psychologie d'Aryen". Toujours, nous retrouvons la même opposition: Freud croit le Juif libéré, scientifique, matérialiste, et le chrétien plus entravé par la religion et la mystique. Encore une fois dans d'autres groupes sociaux (savants déchristianisés, athées et juifs mystiques des synagogues et des ghettos) nous nous heurtons à la situation inverse.
    La querelle atteint une violence de polémique. Freud déclare: "Jung et ses partisans ont montré dans le détail comment le matériel des images sexuelles issues du complexe familial et du choix incestueux est employé à la représentation des plus hauts intérêts éthiques et religieux de l'homme. Autrement dit, ils ont éclairé un cas significatif de sublimation des pulsions érotiques. Ceci se trouvait en concordance parfaite avec les implications de la psychanalyse et eût parfaitement pu se concilier avec l'idée que le rêve et la névrose montrent la dissolution régressive de cette forme de sublimation comme de toutes les autres. Seulement, dans ce cas, le monde eut poussé les hauts cris parce qu'on sexualisait l'éthique et la religion. Pour une fois, je ne peux pas éviter de penser en "finaliste" et d'admettre que les découvreurs ne se sentaient pas de taille à affronter cette tempête d'indignation. Peut-être aussi commençait-elle à gronder dans leur poitrine. La préhistoire théologique de beaucoup de Suisses est aussi peu indifférente pour leur position à l'égard de la psychanalyse que le passé socialiste d'Adler pour l'évolution de sa psychologie". (Ce texte confirme nos vues: c'est de phénomènes culturels, de milieux socio-culturels que parle Freud et non de races ou de nations).
    En avril 1914 la rupture était consommée. Depuis plus d'un an, le Viennois et le Bâlois avaient mis fin à leur amitié. En avril 1914 Jung démissionna de la présidence de l'Association internationale de Psychanalyse. En août, entraînant les Suisses, il quitta l'organisation au moment même où se déclenchait la première guerre mondiale.
    Désormais, Jung confondra de plus en plus la libido avec l'ensemble de l'énergie psychique et cherchera de plus en plus un sens métaphysique à la vie. Freud au contraire, usa du narcissisme, de l'amour de soi, pour éviter de doter le Moi lui-même de propriétés sexuelles et pourtant garder son caractère sexuel à la libido. La surestimation du Moi, que l'on trouve chez les primitifs comme