Carl Justav Jung: Vie et Oeuvre de Carl Gustav Jung (French Edition)

perturbations devenaient des "indices de complexes". Et il en tire des déductions qui rejoignent étrangement celles que Freud a tirées de ses associations libres: "On a constaté en effet que les mots inducteurs qui déterminent une perturbation quelconque de la réaction sont ceux qui rencontrent chez le sujet un contenu émotionnel lié d'une façon ou d'une autre à la sphère intime, et tabou. Lorsqu'un mot inducteur n'intéresse que la surface de la conscience, la réaction est normale... Mais lorsqu'il entame et traverse les digues protectrices de la vie intérieure et pénètre dans l'intimité du moi, il... (déclenche) à l'intérieur de l'être un "automatisme" auquel le sujet n'était pas préparé, qui capte son attention... et l'empêche d'obéir aux instructions.
    Cette méthode ne peut recouvrir les "associations libres" de Freud, qui sont le matériel même par lequel l'inconscient se révèle durant la cure psychanalytique. Mais elles apportaient à Freud une précieuse confirmation. Plus important que cette méthode fut pour Freud ce concept de "complexes" élaboré par Jung. Dans L'homme à la découverte de son âme , Jung en donne la définition: un "complexe affectif... c'est l'image émotionnelle et vivace d'une situation psychique arrêtée, image, de plus, incompatible avec l'attitude et l'atmosphère habituelles, conscientes; elle est douée d'une forte cohésion intérieure, d'une sorte de totalité propre... elle se comporte dans l'espace conscient comme un corps étranger animé d'une vie propre. Un effort de volonté permet d'ordinaire de réprimer un complexe, de le tenir en échec, mais aucun effort ne peut l'annihiler, et il reparaît à la première occasion favorable avec sa force première..."
    Jung classe les complexes selon les situations traumatisantes qui les ont engendrés. Il ne les qualifie pas de morbides, mais il écrit que l'on "a" des complexes, comme on dit qu'on "a" tel microbe. Ainsi dira-t-il plus tard que Freud "avait" un complexe paternel mal résolu. Les disciples de Jung ont tendance à traiter les complexes comme des manifestations morbides dont il faut débarrasser les psychismes. Jung dira un jour que les complexes forment une "âme parcellaire" dans l'individu. Ainsi donc on est à certains moments possédé par des complexes. C'est un événement accidentel, dont la cause peut être liée à l'enfance, mais aussi à des événements ultérieurs, récents. Pour Jung, les complexes sont des sortes de génies malfaisants qui perturbent, peuvent causer des hallucinations, e dont il faut tenter de se débarrasser.
    Pour Freud, au contraire, le complexe d'Oedipe, la situation oedipienne est vécue par tous. Le problème réside dans le dénouement harmonieux de la situation oedipienne. Le complexe d'Oedipe mal liquidé peut engendrer un complexe de castration. Ce sont les deux seuls complexes qu'il ait admis. Le sentiment d'infériorité n'en est qu'un dérivé. Le langage commun nomme à présent complexe, cette sensation imaginaire d'infériorité, traduite dans une phrase comme: "ne me critique pas, tu vas me donner des complexes".
    Ni Jung ni Freud n'acceptent cette extrapolation hasardeuse et erronée. Freud a sans doute emprunté le mot de "complexe" à Jung, en lui donnant un autre sens. D'ailleurs, dans une lettre à Romain Rolland, il analysera l'idée fausse que l'on se fait de l'originalité scientifique: toute découverte a généralement déjà été au moins partiellement faite par un autre, imparfaitement formulée, puis reprise. La création, en fait, applique à une manière nouvelle "des choses oubliées qui revivent".
    Freud ne croyait vraiment originale qu'une seule de ses idées: la théorie du rêve, la révélation de l'inconscient par sa structure même. Quoiqu'il en soit, pendant près de sept ans, Freud et Jung travailleront ensemble à la Cause (die Sache), et Bleuler lui-même se déclarera impressionné par la psychanalyse.
    En septembre 1909, avec Sandor Ferenczi, qu'il traitait comme son fils adoptif, avec Jung, auquel il vouait un attachement paternel, Freud arriva aux Etats-Unis. Il se méfiait du puritanisme américain. L'intérêt même que les Américains manifestaient pour la psychanalyse lui semblait suspect. On aurait dit que dès 1909 il entrevoyait quelles transformations et déviations allait subir la psychanalyse aux U.S.A. et sentait que les théories, encore confusément exprimées, de Jung allaient, ici, remporter