Cathares
J’ai simplement constaté que... des objets avaient bougé, voilà tout !
— Encore heureux, lâcha la patronne d’un ton plus sec que l’extrémité des croûtes de ses baguettes. Vous êtes dans une maison bien tenue et une des tâches de notre femme de chambre consiste précisément à ranger les chambres des clients. Et croyez-moi, c’est parfois bien nécessaire !
Sur ces paroles peu amènes, la patronne s’en retourna dans la cuisine pour aller chercher le café. Le Bihan regarda autour de lui pour vérifier si les pensionnaires de l’hôtel avaient suivi la conversation. Non pas qu’il en fût gêné, au contraire, il se dit que le message pouvait très bien avoir été porté par l’un d’entre eux. Et si la jeune fille à lunettes de bibliothécaire était la fameuse Philippa ? Peut-être aussi que l’amateur compulsif de confiture était son messager. Et cette Anglaise trop polie pour ne rien avoir à se reprocher ? Mon Dieu, comme toute cette histoire commençait à l’exciter. Le Bihan avait l’impression de se retrouver dans un roman policier d’Agatha Christie et s’amusa un moment à deviner qui pouvait avoir intérêt à l’éliminer dans cette assemblée trop sage pour être totalement honnête.
Une fois son café avalé, il monta dans sa chambre prendre le livre sur les Cathares, son indispensable crayon et quitta l’hôtel sans que la patronne le gratifie de son coutumier « Bonne journée, Monsieur Le Bihan ». Aucun doute n’était plus permis, il l’avait vraiment vexée. L’historien parcourut les quelques mètres qui séparaient l’hôtel de la Source du bar-tabac et constata avec plaisir que Mireille finissait d’installer les tables de la terrasse. Sa patronne, toujours aussi blonde et impérieuse, surveillait les opérations comme s’il s’agissait de placer stratégiquement les troupes de l’empereur à Waterloo. Elle lui demanda d’aligner correctement les chaises et de sortir deux parasols, car la journée promettait d’être chaude. Le Bihan décida qu’il serait aujourd’hui le premier client. Le breuvage brunâtre de l’hôtel avait la fâcheuse particularité de lui rappeler la guerre tandis que le café que lui servait Mireille était le seul capable de lui faire commencer correctement une journée. La jeune femme lui apporta une tasse qu’elle posa un peu brutalement sur la table. Un peu de café jaillit hors de la tasse et vint s’échouer dans la sous-tasse. Le Bihan se dit que c’était toujours un peu du divin nectar de perdu, mais il n’en tint pas rigueur à Mireille qui portait aujourd’hui une jolie petite robe rose sous son tablier blanc décoré de petites dentelles autour du col. Le Bihan voulait lui parler. Il avait même préparé plusieurs sujets pour entamer la conversation : d’où venait-elle ? Se plaisait-elle à Ussat ? Le travail n’était-il pas trop dur avec une telle patronne ? Mais tout à sa contemplation de la serveuse, le jeune homme ne parvenait à formuler aucune de ses interrogations pourtant très légitimes.
À peine Mireille s’était-elle éloignée, il venait de porter la tasse à ses lèvres quand un homme passa rapidement devant sa table. Il laissa maladroitement tomber son journal à terre, juste devant les pieds de Le Bihan. Le promeneur se baissa pour le ramasser et, en se relevant, il lui murmura à l’oreille :
— Dans une demi-heure, derrière les thermes.
12
Berlin, 1938
Cher Jacques,
La nature ne m’a pas doté d’un physique de sportif. Il m’a même fallu endurer de nombreuses moqueries à l’école et puis au collège, mais avec le temps, je pense avoir acquis une authentique force d’âme. Je suis né en 1904 à Michelstadt dans le Hesse et je me rappelle très bien les privations que nous avons endurées pendant la guerre. Pour m’évader des rigueurs du quotidien, je lisais des histoires de chevaliers qui partaient combattre de terribles dragons et allaient délivrer leur belle. Déjà, à cette époque, le Moyen Âge me passionnait.
Plus tard, lorsque je suis entré à l’université, j’ai naturellement choisi de m’orienter vers des études de lettres. J’ai toujours senti en moi une double attirance pour le monde germanique et latin. Cela se traduisit à la fois par une option en Romanistik (littérature de langue romane) et un intérêt de plus en plus affirmé pour les anciennes légendes germaniques. Je m’enflammais pour Richard Wagner et plus
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