Cathares
lui revint. D’un bond, il se leva et prit le livre consacré à la religion cathare qu’il avait emprunté au collège. Quand il releva le nombre d’annotations au crayon qu’il y avait déjà faites dans les marges, il se dit qu’il devrait bientôt affronter les foudres du proviseur qui ne supportait pas, selon ses propres mots, que l’on porte atteinte au bien commun. Le Bihan souriait en se disant qu’il était encore question de « bien » lorsqu’il trouva la référence qu’il cherchait. Pour les Cathares, le mot occitan lo ben désignait l’Église cathare. Le Fils Majeur, coadjuteur de l’évêque cathare Jean de Lugio, avait précisément décrit cette notion dans son Livre des deux Principes. L’historien était satisfait. Voilà une nouvelle pièce du puzzle qui se révélait intéressante. Le Bihan se dit qu’il avait intérêt à examiner chaque mot que Philippa lui adresserait comme un archéologue brosse le moindre fragment d’un relief de marbre avec un fin pinceau pour en dévoiler tous les détails. Car il n’en doutait pas une seconde, Philippa lui transmettrait bientôt d’autres messages.
11
En se rasant devant son miroir le matin du cinquième jour, Le Bihan voulait en avoir le coeur net. Il descendit dans la salle à manger de l’hôtel de la Source pour prendre son déjeuner en ayant décidé de poser une question dérangeante à laquelle il était d’ores et déjà convaincu qu’il n’obtiendrait pas de réponse. Mais tant pis, le temps lui était compté et il devait tenter le coup.
Dans la salle à manger du rez-de-chaussée, il retrouva comme de vieilles connaissances les pensionnaires de l’hôtel qui avaient déjà entamé leur journée de curistes modèles. Il y avait ce vieux couple d’Anglais dont le mari avait réussi à se faire expédier chaque jour dans ce coin reculé de l’Ariège une fraîche édition du Times et qui accomplissait quotidiennement l’exploit d’ingurgiter tout son petit déjeuner sans jeter un seul coup d’oeil à sa femme. À l’autre bout de la pièce, un homme seul demandait comme chaque matin un supplément de confiture tout en prenant garde de complimenter la patronne pour l’excellence de sa recette maison. Toujours revêtu d’une chemise blanche et d’une cravate rayée un peu trop habillée pour le standing du lieu, il avalait force tartines sans laisser couler la moindre goutte de confiture sur ses vêtements. Le Bihan remarqua enfin l’étrange duo constitué de la dame très digne accompagnée de sa fille qui s’asseyaient toujours près de la fenêtre. La jeune fille ne prenait même pas la peine de cacher son profond ennui. Mais sa mère, toujours de bonne humeur, ne semblait pas s’en rendre compte. Comme chaque matin, la jeune fille se leva pour aller passer un appel téléphonique. Avec qui pouvait-elle bien converser pendant que sa mère savourait sa tasse de café au lait ? Le Bihan se dit qu’elle n’était pas jolie, mais qu’une fois débarrassée de ce chignon trop strict et de ces lunettes de bibliothécaire d’avant-guerre, elle se révélerait probablement beaucoup plus charmante. Encore fallait-il que sa mère lui en laisse la possibilité ! Le Bihan en était donc à s’interroger sur le physique de l’aspirante vieille fille quand la patronne de l’hôtel vint lui poser la question rituelle.
— Alors Monsieur Le Bihan, vous avez bien dormi ? Qu’est-ce qui vous ferait plaisir : café, thé ou chocolat ?
La spécialité du lieu était le chocolat chaud, mais il fallait être doté d’un solide estomac pour supporter un pareil breuvage alors que le soleil se faisait déjà très présent à cette heure du jour. Toutefois, comme la question avait été posée dans les règles, Le Bihan se devait d’y apporter, lui aussi, une réponse conforme aux usages. Mais cette fois, il y joignit une autre question.
— Un café, très volontiers, Madame Lebrun. Dites-moi, puis-je vous demander quelque chose ? Mais je vous préviens, c’est assez délicat.
— Faites donc ! lui répondit-elle, non sans laisser apparaître une lueur de reproche préalable dans le regard.
— Pensez-vous qu’il soit possible que quelqu’un venant de l’extérieur se soit introduit dans ma chambre hier ?
— Pardon ? manqua-t-elle de s’étrangler. Que voulez-vous me dire ? On vous a volé quelque chose ?
— Non, se défendit-il en essayant de calmer l’indignation de la patronne.
Weitere Kostenlose Bücher