Cathares
traversa son esprit quand il quitta Saint-Paul-de-Jarrat. Il espérait enfin réussir à joindre un visage à la voix de Philippa, l’étrange apparition dont il avait rêvé une grande partie de la nuit. Le Bihan l’avait imaginée de toutes les manières : en gente dame du Moyen Âge, en religieuse traquée, en comtesse parée de ses plus riches atours... Elle avait pris tous les visages : celui de sa chère Joséphine bien sûr, mais aussi ceux d’Édith et des autres femmes qui avaient traversé sa vie au cours des dernières années. Il avait fini par décider que cette Philippa était parée de toutes les qualités. Elle était à la fois courageuse, douce, intelligente et assurément aussi pure que les Cathares qui luttaient jadis contre l’oppression.
Alors que son esprit vagabondait du côté de la troublante Philippa, les paysages du Languedoc se déroulaient devant ses yeux. Il passa les bourgades de Celles et de Freychenet et admira le paysage du col de la Lauze. Il suffisait d’observer ces montagnes pour comprendre ce qui avait pu faire rêver les hommes dans ce coin reculé du royaume de France en leur donnant envie d’élever leur esprit. Le Languedoc n’est pas une de ces régions faciles qui se laissent apprivoiser dès le premier regard. Les géants de roches qui règnent ici accueillent les visiteurs et semblent leur lancer des défis. Dans ce rude pays ariégeois, il faut toujours se hisser à la hauteur nécessaire pour ne pas se contenter des apparences. Étrangement, Le Bihan se sentit intimidé. Après avoir dépassé Montferrier, à l’approche de Montségur, il se sentit dans la peau d’un jeune homme qui tremble en se rendant à un rendez-vous. Et s’il n’était pas à la hauteur ? Comment Philippa réagirait-elle s’il était incapable de répondre à ses attentes ?
« Notre foi, elle, ne peut disparaître. »
Ce matin, le ciel était bleu. Tout juste perturbé par quelques nuages qui venaient jeter des voiles de coton blanc sur une robe trop azurée. Le Bihan n’aurait pu choisir un meilleur jour pour entreprendre son expédition. À présent qu’il était arrivé au pied du pog, les voiles immaculés s’étaient faits plus sombres et surtout plus menaçants. Mais il en fallait plus pour abattre la foi de l’historien. Il sourit en se disant qu’il était prêt à mériter Montségur, quel qu’en soit le prix. Il aurait même regretté que ce moment longtemps attendu soit trop facile. Il gara sa voiture en contrebas du pic rocheux dominant le pays d’Olmes et regarda autour de lui. Il n’y avait pas âme qui vive, à part peut-être dans le petit village de Montségur qui somnolait en contrebas du pog, comme un chien blotti au pied de la statue d’un gisant de pierre. À sa grande satisfaction, Le Bihan constata que le site était loin d’être aménagé pour les touristes. Un écriteau à moitié dissimulé par la végétation signalait le petit sentier escarpé qui menait au château. Le Bihan commença son ascension et trébucha plus d’une fois sur les cailloux qui roulaient sous ses semelles.
Au fur et à mesure qu’il s’approchait de la forteresse, celle-ci paressait vouloir jouer une partie de cache-cache avec lui. Elle apparaissait et puis disparaissait, au gré des caprices de l’étroit chemin de terre qui serpentait à travers les branchages. Chaque fois qu’il voyait un pan d’un mur de pierres, son coeur se mettait à battre plus vite. Et dès que les pierres disparaissaient, il éprouvait l’agréable sentiment de disposer d’encore un peu de répit avant d’affronter la rencontre décisive avec son adversaire. Mais bientôt, il fut impossible de tergiverser et de poursuivre cette partie de chat et de souris. Après trois quarts d’heure de marche éprouvante, l’historien parvint au sommet, juste à l’entrée de la forteresse. À ce moment précis, un de ces voiles de nuages qu’il observait depuis son arrivée sur le site, s’en vint envelopper les murailles de pierre. C’était un peu comme si la jeune femme avec laquelle il avait rendez-vous s’offrait une ultime coquetterie pour ne pas lui dévoiler d’emblée tous ses charmes. Le Bihan se ressaisit. Il convint que sa métaphore était particulièrement mal choisie. Montségur n’avait rien d’une jeune fille mutine. Il suffisait de deviner les murailles enveloppées dans les nuages pour comprendre qu’elles étaient taillées dans la pierre dont on fait les
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