Cathares
se dit qu’un deuxième café l’aiderait à tenir le choc. Elle n’avait pas d’argent (elle avait tout laissé chez elle), mais elle ne s’inquiéta pas pour cela. Elle en était sûre, Le Bihan allait l’aider.
Depuis qu’elle en avait entendu parler alors qu’elle poursuivait ses recherches à Rouen, elle était convaincue qu’il était le genre d’homme qu’elle aurait dû connaître pour avoir le courage de changer de vie. À l’époque, il travaillait sur la tapisserie de Bayeux et avait été confronté aux membres de l’Ahnenerbe. Philippa – qui s’appelait en fait Madeleine – était dans l’autre camp. Elle avait eu l’occasion de dîner avec Ludwig Storman et de l’entretenir de ses travaux sur l’antagonisme naturel du peuple juif et de l’homme aryen. Celui-ci s’était montré très intéressé et avait été jusqu’à lui parler de ses recherches sur les anciens peuples venus du Nord. Il évoqua aussi sa lutte contre les résistants et surtout contre un jeune historien qui lui menait la vie dure. À l’époque, sans savoir pourquoi, Madeleine avait éprouvé de la sympathie pour ce mystérieux Le Bihan. Peut-être même avait-elle été, pour la première fois, ébranlée dans ses certitudes politiques et familiales.
La jeune femme but d’un trait sa deuxième tasse de café et apprécia l’effet bienfaisant du liquide chaud qui se répandait en elle. Philippa regardait distraitement une affiche publicitaire sur une plaque émaillée sur laquelle un personnage vêtu d’une large cape noire vantait les mérites d’un porto quand la porte du bar s’ouvrit. L’espace d’une seconde, elle crut que l’homme qui entrait se confondait avec l’affiche publicitaire. Il portait lui aussi une cape noire et un masque noir, comme une cagoule. Philippa n’eut pas le temps de détailler cette vision étrange, car tout alla trop vite. L’homme ordonna au patron et aux clients du bar de quitter l’établissement. Ceux-ci détalèrent comme des lapins en quelques secondes, puis il s’approcha d’elle en tendant un pistolet dans sa direction. Philippa n’eut même pas le temps de crier qu’une balle tirée à bout portant vint lui traverser la boîte crânienne. Il avait suffi d’une détonation, nette et précise. De manière incongrue, le cadavre demeura tel que se trouvait assis le corps lors des dernières minutes de vie de la jeune femme. Assis dans l’angle de la banquette, devant une tasse de café vide. L’homme sortit un morceau de tissu de sa cape. Il le disposa soigneusement sur la morte. Ensuite, il quitta le bar, entra dans une voiture, mit le contact et remonta la rue principale. Le patron du bar de l’Amitié aurait bien voulu faire une description détaillée de l’homme à la police, mais il n’y avait pas grand-chose à en dire d’autant plus qu’il n’y avait pas de plaque sur son véhicule.
Le Bihan comprit qu’il arrivait trop tard quand il vit l’attroupement devant le bar. Profitant de la cohue, l’historien entra dans l’établissement et devina une masse inerte sous un grand morceau de tissu noir. Sur celui-ci était cousu un blason qui ne lui était pas étranger : un écu associant la double rune de la SS et la croix cathare. Le jeune homme préféra ne pas s’attarder afin de ne pas croiser la gendarmerie qui était sur le point d’arriver. Philippa n’avait cessé de l’appeler à l’aide, mais il était arrivé trop tard. Une fois dehors, il questionna un badaud.
— Qui était-ce ?
— Une certaine Philippa Damiens, répondit-il sur le ton de celui qui n’en sait pas très long, mais qui a envie de faire des confidences. Un drôle de nom, vous ne trouvez pas ? Ah, y a pas à dire, elle était discrète, mais vous savez, on parle dans le pays. Il paraît que ses parents n’étaient pas tout propres pendant l’Occupation. Enfin, moi, je ne fais que vous répéter ce que j’ai entendu.
— Où habitait-elle ?
L’homme était apparemment très content de pouvoir répondre à cette nouvelle question.
— Oh ! lança-t-il en levant un bras vers le ciel. Pas loin d’ici ! La rue Maréchal-Joffre, c’est facile, juste au-dessus de la boulangerie.
L’homme aurait bien voulu poursuivre ses explications en lui exposant son point de vue sur les jeunes femmes qui vivent seules alors qu’elles feraient mieux d’être mariées, mais quand il se retourna, Le Bihan avait déjà disparu.
La personne qui était venue
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