Catherine des grands chemins
devant eux et qui fit se signer Sara précipitamment.
— Mauvais présage, marmonna-t-elle.
Mais Catherine avait décidé de fermer les oreilles à ses propos pessimistes. Depuis qu'elle avait quitté la maison de Guillaume l'enlumineur, elle se sentait une autre femme. Sous ce nouvel aspect, elle ne porterait plus le nom de Montsalvy, mais un nom quelconque qui ne risquerait pas d'être compromis ou sali dans les sentiers ténébreux où elle voulait s'enfoncer. Elle ne redeviendrait Catherine de Montsalvy qu'une fois sa vengeance accomplie. Alors, elle effacerait à l'esprit-de- vin, comme le lui avait enseigné Guillaume, les dernières traces de son grimage, elle couperait ces cheveux noirs qui lui semblaient maintenant aussi faux que ceux rajoutés et elle reprendrait, avec son deuil hautain,
le chemin de l'Auvergne pour y vivre aussi proche que possible de son bien-aimé.
Mais, une fois dans sa chambre, elle rejeta tous ses vêtements et alla se placer devant un grand miroir d'argent poli où elle se voyait presque tout entière. Sa peau avait la couleur foncée de celle de Sara avec quelque chose d'un peu plus doré. Elle était lisse et luisait doucement sous la lumière de la lampe à huile, comme un satin bruni.
Ainsi teinté, son corps semblait plus mince et plus nerveux. Les longues mèches noires croulaient dessus comme de minces serpents et glissaient jusqu'à ses hanches. Ses lèvres pourpres éclataient comme une fleur sensuelle et ses grands yeux scintillaient, étoiles sombres nichées sous l'arc orgueilleux des sourcils.
— Tu as l'air d'une diablesse, murmura sourdement Sara.
— Et diablesse je serai tant que l'homme que je hais ne sera pas abattu.
— As-tu songé aux autres, à tous ceux que tu vas attirer et qui oseront tout maintenant que ton nom et ton rang ne te défendront plus
? Tu ne seras plus qu'une fille de Bohême, que l'on peut violer ou pendre à son gré quand on ne la destine pas au bûcher, une créature dangereuse et maudite.
— Je sais. Et je me défendrai avec les armes de mon personnage.
Tous les moyens me seront bons pour réussir.
— Te donnerais-tu à un homme s'il le fallait ? demanda Sara gravement.
— Au bourreau lui-même si c'était nécessaire. Je ne suis plus Catherine de Montsalvy, je suis une fille de ta race. Et je m'appelle...
au fait, comment vas-tu me nommer ?
Sara réfléchit un instant, clignant des yeux et mordillant la croix d'or pendue à son cou. Au bout de ce laps de temps, elle décréta : Je t'appellerai Tchalaï... Cela veut dire « étoile » dans notre langue...
mais, jusqu'à ce que nous soyons arrivées, tu resteras Catherine comme devant. Non, décidément, je n'aime pas beaucoup cette aventure.
Catherine se détourna et, sauvagement, elle s'écria :
— Et moi ? Crois-tu que je l'aime ? Mais je sais bien que, si je ne pouvais mener ma tâche à bonne fin, je n'aurais plus de repos, ni dans ce monde ni dans l'autre. Il faut que je venge Arnaud, que je venge Montsalvy brûlé, mon fils dépouillé ! Sinon, que pourrait valoir encore la vie ?
Dans la matinée, Catherine, assise sagement sur un tabouret, laissait Sara rattacher les faux cheveux noirs et en faire de longues nattes quand on frappa à la porte. Sara alla ouvrir. Sur le seuil, Tristan l'Hermite apparut. Il avança de quelques pas et entra dans le rayon de soleil léger qui tombait de la haute fenêtre. Sa pâleur alors se révéla, frappante, si tragique que les deux femmes, instinctivement, se rapprochèrent.
— Vous êtes blême, balbutia Catherine. Qu'avez- vous ?
— Moi, rien. Mais Guillaume l'enlumineur a été égorgé cette nuit dans sa maison. Sa servante a trouvé son corps en venant l'éveiller et...
il a été torturé avant de mourir !
Un effrayant silence suivit ces terribles paroles. Catherine sentit le sang abandonner son visage et ses membres pour refluer à son cœur, mais trouva la force de demander :
— Pensez-vous que ce soit... à cause de nous ?
Tristan haussa les épaules et, sans cérémonie, se
laissa choir sur un tabouret. Les soucis marquaient tellement son visage impassible qu'il semblait avoir vieilli de dix ans. Sans rien dire, Sara alla prendre un flacon de vin de Malvoisie posé sur un dressoir, emplit un gobelet et vint tendre le tout au Flamand.
— Buvez ça. Vous en avez besoin.
Il accepta le gobelet avec reconnaissance et avala le vin d'un trait Catherine avait noué ses mains sur ses genoux pour les empêcher
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