Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
Vom Netzwerk:
Comment ? Avec qui ?
    Hier, un de mes collaborateurs a reçu, à leur demande, et à leur surprise, un groupe d'élus communistes de la région parisienne, dont Juquin. Après l'éditorial de Georges Marchais, il était opportun de sonder leurs dispositions. Elles ne sont pas limpides. L'agitation s'aggravant, ils ne tiennent pas à paraître voler au secours du « pouvoir gaulliste ». Ils aimeraient bien que nous les débarrassions des gauchistes, mais ne le demandent plus qu'en catimini. Aujourd'hui L'Humanité n'a plus un mot contre eux. C'est le gouvernement qui est responsable de tout et ne cherche que « l'escalade de la répression policière ».
    Je reçois Noc à la tête d'une délégation de la Fédération des étudiants de Paris, la Corpo des sciences — la petite cohorte des « modérés ». Je leur annonce que je souhaite la reprise des cours à Nanterre et à la Sorbonne dès que le calme reviendra. À ma surprise, ils me font part de leurs doléances sur la brutalité de la police, comme s'ils étaient eux aussi atteints par le réflexe de solidarité qui rend la situation opaque et ingérable.
    Je reçois Marangé et Daubard 5 . J'éprouve aujourd'hui la force des liens assez confiants que nous avons établis depuis six mois. Je les sens prêts à m'aider, c'est-à-dire à aider l'Éducation nationale àretrouver ses esprits. Mais eux aussi s'en tiennent aux « trois préalables ».
    L'enjeu se cristallise et s'éclaire. Tout paraît tenir à la triple revendication : libération des étudiants arrêtés, plus d'intervention policière dans les locaux universitaires et à leurs abords, réouverture des facultés. Les plus enragés des gauchistes se sont ralliés à ce mot d'ordre en apparence si peu gauchiste, si modéré même. Mais les gauchistes savent, avec leur très sûr instinct de la révolution, que satisfaire ces revendications, ce serait déconsidérer l'institution judiciaire, déligitimer l'institution policière, et leur livrer tout l'espace universitaire.

    Geismar : « Nous venons de donner l'ordre de dispersion et il n'est pas suivi »
    Côté rue, mardi ressemble beaucoup à lundi.
    D'abord, dans l'après-midi, point de presse de Geismar : « Nous voulons bien négocier, après satisfaction de nos trois préalables. Pour montrer notre bonne volonté, la manifestation de ce soir sera la moins violente possible. »
    Effectivement, elle commence comme une grande promenade, que Grimaud laisse divaguer dans Paris. Elle franchit même la Seine. Un barrage l'arrête sur le pont Alexandre III — derrière, c'est l'Elysée. Qu'à cela ne tienne, le cortège tourne aussitôt vers la droite, passe devant l'Assemblée nationale sans l'honorer d'un regard, franchit le pont de la Concorde et, Cohn-Bendit en tête, remonte triomphalement les Champs-Élysées en chantant L'Internationale, jusqu'au tombeau du Soldat inconnu que plusieurs des « enragés » compissent gaiement, sans que nul les en empêche.
    Je suis resté dans mon bureau avec mes principaux collaborateurs. Nous apprenons par les radios que les manifestants retournent de l'Étoile au Quartier latin, où, comme hier, de violents affrontements recommencent à minuit. J'appelle Dannaud pour lui dire mon étonnement. «Nous sommes aussi étonnés que vous. Fouchet vient de pousser contre Grimaud la plus grande colère que j'aie entendue de sa bouche. Mais sans doute Grimaud n'a-t-il pas tort quand il dit qu'on ne peut contrôler une masse de jeunes excités comme on contrôle un défilé d'anciens combattants derrière leurs drapeaux. Le nombre des manifestants a beaucoup diminué, 7 000, mais leur agressivité a augmenté. »
    Vers minuit, Geismar demande à parler au téléphone avec le permanencier du cabinet. Je le prends moi-même.
    Geismar : « Nous venons de donner l'ordre de dispersion et il n'est pas suivi ; il ne peut pas l'être. Il y a 70 000 étudiants dans un état de grande exaltation, auxquels il est impossible de donner une consigne.
    AP. — D'après mes informations, ils seraient plutôt 7 000.
    Geismar. — Ça m'étonnerait. On ne peut pas les compter. Ce qui est sûr, c'est que des barricades vont s'élever rue Monsieur-lePrince. Des affrontements ont déjà eu lieu. Le sang va couler, si vous ne demandez pas à la police de se retirer.
    AP. — Comment voulez-vous que le gouvernement laisse des émeutiers maîtres de la rue ? Vous avez joué à l'apprenti sorcier, et vous êtes maintenant débordé.
    Geismar.

Weitere Kostenlose Bücher