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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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circonscription reflète fidèlement l'état d'esprit général. J'improvise un sondage d'opinion à ma façon, en appelant dix amis dont je connais le bon sens. Je leur demande que chacun, chaque soir, téléphone à dix personnes et les interroge sur la situation, fasse la synthèse de ces avis et me la répercute. Ces cent correspondants indirects devraient eux-mêmes recueillir une dizaine de réactions : cela fait mille sondés quotidiens. Dès samedi, j'ai mis en place mon réseau. La méthode n'est pas scientifique, mais je comprends vite qu'à Provins et donc en province, on ne se « solidarise » pas avec les manifestants, on ne trouve pas les gauchistes amusants, et l'on se demande quand l'ordre sera rétabli.

    « Pourquoi vous êtes-vous fait interroger par un enragé ? »
    Après le journal télévisé du soir, Yves Mourousi 4 m'interroge longuement. J'appelle à « mettre fin à l'escalade de la violence ». Je condamne les gauchistes et approuve la demande d'une grande réforme universitaire. J'essaie de montrer que je comprends la masse sans excuser la minorité. J'explique les réformes en cours. J'annonce de nouvelles constructions. Bref, je parle en ministre des jours presque ordinaires.
    Enfermé l'après-midi pour préparer cette intervention, je ne me rends pas compte que, pendant que je parle, la violence à nouveau se déchaîne au Quartier latin. Toute la journée, un cortège protestataire s'est baladé dans Paris, sous les yeux d'une police volontairement discrète, mais quand le soir il grossit et se rapproche de la Sorbonne, la police s'y oppose. Les affrontements, très violents, durent jusque vers minuit. Le fait nouveau est l'omniprésence des radios, qui, en direct, émeuvent leurs auditeurs et renseignent les acteurs. Beaucoup de Français, ayant à la fois branché la télé et le transistor, ont ressenti le décalage. Le Général est l'un de ces Français.

    Salon doré, mardi 7 mai 1968.
    Je suis convoqué le matin chez le Général.
    GdG : « Hier soir, votre passage à la télévision n'est pas bien tombé. Ce n'était pas bon. C'était clair, comme d'habitude, mais vous étiez sur la défensive. Il ne fallait pas vous expliquer longuement sur tous les problèmes de l'éducation. (C'est pourtant bien ce qu'il m'avait demandé : "ouvrir complètement le dossier".) Vous avez commenté vos réformes comme si vous aviez à vous en excuser. On aurait dit que vous n'étiez pas persuadé de votre bon droit.
    AP. — Les universitaires et les étudiants sont si sensibles, dans la crise que nous traversons, qu'il m'a semblé qu'il fallait éviter un ton arrogant, et se montrer ouvert au dialogue.
    GdG. — Le dialogue ! Comment voulez-vous dialoguer avec des enragés qui veulent tout foutre en l'air ? Le seul ton à prendre, quand il y a des émeutes dans la rue, c'est le ton du commandement ! À l'heure où l'insurrection se déchaîne, ce n'est pas le moment de se répandre en explications. Vous auriez dû, très vite, en peu de mots, stigmatiser ces excités, lancer un appel à la raison, prendre le public à témoin.
    AP. — Il faut éviter que la masse des étudiants, qui sont sérieux et travailleurs, ne se solidarise avec les enragés, du fait que la répression s'abattrait sur eux. La porte est étroite.
    GdG. — Mais non ! Il faut prendre la grosse voix, manifester votre indignation, celle du gouvernement, celle du populo, celle des Français. Et pourquoi vous êtes-vous fait interroger par un enragé ? Il avait l'air de vous faire des reproches. C'était encore un gauchiste ?
    AP. — Mourousi n'est sûrement pas un enragé ! Mais il est de ces jeunes journalistes formés à l'école américaine, qui donnent à leurs questions une tournure agressive, en opposition au style des interlocuteurs obséquieux d'autrefois.
    GdG. — Ce n'est plus le moment de s'expliquer, c'est le moment de fulminer. »
    Je ressens profondément la justesse du reproche du Général. S'il m'avait complimenté de mon émission de l'autre semaine sur l'orientation, où j'avais calmement ouvert le dossier, c'est qu'il ne se passait rien : nous avions tout notre temps. Un soir d'émeute, ce ton n'était pas approprié. Il fallait être cinglant. Mais curieusement, lui-même allait commettre la même erreur, le 24 mai.

    Pourtant, je demeure convaincu que, s'il faut en effet fulminer, il est encore possible de s'expliquer.
    Dans l'après-midi, je multiplie les entretiens. Peut-on enrayer l'escalade ?

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