C'était de Gaulle, tome 3
satisfaites, et le délai d'attente moyen est de quatorze mois. Mais en fait, les trois quarts attendent moins d'un an ; pour le quart qui reste, évidemment, c'est beaucoup plus long.
Pompidou (apaisant). — Les statistiques peuvent être trompeuses. En Angleterre et en Allemagne, la population est beaucoup plus concentrée qu'en France, donc plus facile à desservir. On ne peut vraiment pas nous comparer à elles. C'est comme si on voulait comparer l'URSS et la Suisse. (Il n'a pas l'air de se rendre compte de ce qu'il y a de surprenant à nous abriter derrière l'échec soviétique... )
GdG. — C'est surtout une affaire de polytechniciens. Ce que je vois (se tournant vers Marette), c'est que les vôtres n'ont pas pu l'emporter sur ceux de la SNCF. Ils n'ont pas encore trouvé le moyen de fournir le téléphone aux braves gens. »
Strauss : « Nous n'avons pas la prétention de lancer des satellites, mais le téléphone marche »
Le 7 février 1966, Franz-Josef Strauss 1 , le « taureau de Bavière », est mon voisin de table lors du dîner qui clôture le sommet franco-allemand. Il passe le temps du repas à me dire son étonnement — aux limites de la courtoisie : « Je ne vous comprends pas ! Vous lancez des satellites, mais on ne peut pastéléphoner de chez vous en Allemagne ! Cet été, j'ai loué une villa à Saint-Tropez. Matin et soir, j'essayais en vain d'appeler mes bureaux à Bonn ou à Munich. Jamais je n'ai pu y arriver. Il y avait toujours un disque que j'ai appris par coeur, ce sont les seuls mots de français que je connaisse : "Par suite de l'encombrement des lignes, votre demande ne peut aboutir, veuillez renouveler votre appel." Ça m'a gâché les vacances. La seule façon de communiquer, c'était de me faire appeler, et encore, c'était loin de marcher tous les jours. Nous, en Allemagne, nous n'avons pas la prétention de lancer des satellites, mais au moins le téléphone marche. Quand un client demande à être raccordé, c'est fait dans la journée. L'été prochain, je renoncerai à la Côte d'Azur, malgré son agrément. »
J'ai bien du mal à le faire changer de sujet...
« Les besoins du marché finiront toujours par être satisfaits par le marché »
Salon doré, 22 mars 1966.
Je raconte au Général la fable bavaroise du satellite et du téléphone.
GdG : « Que voulez-vous, nous avons des retards en tout. Il faut choisir. L'État ne peut pas se charger de tout rattraper à la fois. Les besoins du marché finiront toujours par être satisfaits par le marché. Tandis que, pour les secteurs de pointe, si l'État ne met pas le paquet, il ne se passera rien.
AP. — Mais le progrès économique de la France demanderait une progression beaucoup plus rapide du téléphone.
GdG. — Alors, vous voulez qu'on ampute vos crédits de recherche spatiale au profit de votre collègue des PTT ?
AP. — Certes non ! Mais il devrait y avoir moyen de bâtir une grande entreprise française qui réponde aux besoins de ce secteur. Les investissements téléphoniques sont rentables. Et le blocage de notre téléphone bloque notre développement industriel. »
Mais de Gaulle, qui n'aimait pas le téléphone, qui n'en usait que très rarement et qui refusait qu'on en usât avec lui (sauf à Colombey, où il avait bien fallu poser une ligne directe avec l'Elysée), n'était pas préoccupé du problème. Les lanceurs d'engin sont nécessaires à la force de dissuasion, dont dépend notre indépendance. Ils sont une priorité, donc un sujet d'intense intérêt. Le téléphone, c'est l'intendance, elle finira bien par suivre. Sans doute aurait-il pu dire lui-même ce que Marette a dit un jour à des élus corses qui lui réclamaient une multiplication de leurs lignes : « On peut très bien vivre sans téléphone. Nos parents ne l'avaient pas, ils étaient beaucoup plus tranquilles, on ne les dérangeait pas à toute heure du jour et de la nuit. Le téléphone, c'est le stress permanent et l'infarctus assuré à quarante-cinq ans. »
Au contraire, Strauss avait donné la solution en même temps qu'il posait le diagnostic. Il suffisait de faire appel au privé, qui traiterait le problème en termes de rentabilité : « Siemens vous réglerait ça en six mois ! » Mais là, le Général était intraitable : « Nous allons nous faire coloniser ! Que ce soit par les Allemands ou les Américains, le résultat serait le même ! »
« Mais votre compagnie québécoise, elle est américaine !
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