C'était de Gaulle, tome 3
lignes sont régulièrement espacées. Quelques corrections ont été faites au fil de la plume, presque toutes avant même que la phrase commencée soit achevée.
Voici cette version primitive, dont je respecte la disposition sur la page, ligne après ligne, et les mots rayés.
1. Étant
le détenteur de la légitimité nationale
et républicaine,
j'ai examiné toutes les hypothèses
qui me permettraient de la maintenir.
J'ai pris mes résolutions.
2. Dans les circonstances présentes, je ne changerai pas le gouvernement. Il est capable, cohérent, dévoué
à l'intérêt public.
Je ne dissoudrai pas le Parlement. Il n'a pas voté la censure.
J'ai proposé au pays un référendum. Il est possible que le maintien de la situation présente empêche matériellement d'y procéder. Ce serait la même chose pour des élections législatives. Autrement dit, on entend bâillonner le peuple français tout entier
l'empêchant de vivre
par les mêmes moyens qu'on empêche les étudiants d'étudier, les enseignants d'enseigner, les travailleurs de travailler, je veux dire par l'intimidation opérée par des groupes organisés de longue main en conséquence.
3. La France est donc menacée
Après avoir commencé ainsi le point 3, il s'arrête. Il revient sur le point 2, afin de le conclure par une phrase essentielle, qui dévoile son intention d'utiliser l'article 16.
Si cette situation de force se maintient, je prendrai d'autres moyens que le scrutin immédiat du pays pour maintenir la République.
Pour écrire cette phrase, il doit enjamber le début du point 3. Il le raye soigneusement, et en reporte plus loin le début, qui n'est plus tout à fait le même.
3. Car la France est menacée de dictature.
On veut la contraindre à se résigner à un
pouvoir
issu du désespoir national,
lequel pouvoir serait alors évidemment et essentiellement
celui du vainqueur, c'est-à-dire celui du
communisme totalitaire. Naturellement on le colorerait
au départ d'une apparence moins affirmée, en
utilisant la frénésie de portefeuilles et la haine
portée au régime par des politiciens d'autrefois.
Eh bien ! non ! La République
n'abdiquera pas. Le peuple se ressaisira.
Le progrès, l'indépendance et la paix
l'emporteront
avec la liberté.
Ce premier jet a fixé une structure, une progression, sur laquelle le Général ne reviendra pas, et que souligne le numérotage.
La démarche est claire : je maintiens tels quels les pouvoirs publics, qui ont tenu bon ; mais les issues sont bloquées, les Français sont bâillonnés, on veut les empêcher de s'exprimer démocratiquement, par le référendum ou législatives. Le pays doit donc se ressaisir, sinon ce sera bientôt la dictature du parti communiste.
« Le Premier ministre, dont la valeur, la solidité, la capacité... »
Sur ce canevas, de Gaulle a procédé ensuite par corrections, et surtout par ajouts, dans les marges et entre les lignes. Le manuscrit en devient presque illisible, mais, une fois déchiffré, les enrichissements sautent aux yeux.
Le Général précise qu'il ne démissionne pas. Cela allait sans dire. Cela ira beaucoup mieux en le disant.
Il adresse un hommage appuyé à Pompidou, pour personnaliser ce gouvernement maintenu, et marquer l'unité de l'exécutif. Le Général a compris que la personnalité de Pompidou est devenue un atout décisif. Il le joue. Des compliments qu'il lui fait (« valeur », « solidité 2 », « capacité »), il n'aura rien à changer.
Il développe l'objectif du référendum, ne voulant pas l'abandonner sans le défendre : il veut faire prendre acte à l'opinion que c'était à la fois une réforme et une voie démocratique pour exprimer le soutien à de Gaulle ou son désaveu. Hélas, le blocage du référendum par la force était possible ; il devient probable.
Enfin, l'appel à l'action civique apparaît, ainsi que la mission donnée aux préfets, commissaires de la République.
« Je ne dissoudrai aujourd'hui »
C'est dans la tranquillité de Colombey, mercredi soir 29 mai, que le Général a rédigé ce premier jet, puis l'a développé. Le message qu'il veut faire passer est lumineux : nous sommes dans un combat, et ce combat, de Gaulle le conduira. Puisque le recours régulier au peuple est impossible pour cause d'obstruction, il faut que le peuples'exprime, se manifeste, se mobilise. De Gaulle est prêt à le conduire à la bataille.
Quand le Général arrive à l'Élysée, jeudi à
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