C'était de Gaulle, tome 3
midi et demi, il appelle sa secrétaire et lui donne son texte à taper. Le résultat de cette dactylographie, nous le connaissons : c'est la base du second document.
Or, surprise, le texte dactylographié n'est pas tout à fait identique au brouillon du Général : une dizaine de modifications, qui ne changent rien au fond, mais peaufinent le style.
Que s'est-il passé ? Le Général a dû récrire son premier brouillon fort peu déchiffrable (encore que la secrétaire soit capable de prouesses), et au fil de cette mise au net, qui a disparu, il aura introduit ces corrections d'écrivain attentif, perfectionniste.
Le Général déjeune rapidement. Quand Pompidou arrive à l'Élysée, à 14 heures 30, une demi-heure avant le début du Conseil, on n'a pas encore fait passer au Général le texte dactylographié. Mais il a conservé son premier brouillon.
Et c'est sur ce brouillon qu'il consigne, sous les yeux de Pompidou, les deux modifications majeures que leur conversation va entraîner. La première concerne la dissolution ; la seconde, le remaniement gouvernemental.
Le Général cherche des yeux l'endroit où il a écrit : « Je ne dissoudrai pas le Parlement qui n'a pas voté la censure. » Au-dessus de la ligne, en pattes de mouche, il écrit : « dissoudrai aujourd'hui l'Ass. Nle » ; puis il barre la ligne en dessous, oubliant au passage de rayer la négation ne. Dans la conversation, il s'est aperçu enfin d'une impropriété : ce n'est pas le Parlement, bien sûr, qu'il va ou ne va pas dissoudre, c'est seulement l'Assemblée nationale. Le Sénat est indissoluble...
Pompidou a en outre obtenu de remanier le gouvernement. Le Général rature son texte en conséquence, barrant d'un trait net ce qui concerne le gouvernement et ne laissant intact que son hommage au Premier ministre, déjà si éloquent qu'il n'a pas besoin de le renforcer : « Je ne changerai pas
le Premier ministre, dont la valeur, la solidité, la capacité méritent l'hommage de tous. »
Mais il s'arrête là dans les corrections. Ce texte est déjà trop embrouillé pour le regraticuler. D'ailleurs, c'est le moment de descendre au Conseil.
Quand il en sort, une demi-heure plus tard, le texte dactylographié est disponible. Il lui reste une heure pour y mettre la dernière main. Il y porte d'abord les deux corrections essentielles, celles qu'il avait déjà consignées sur le brouillon. Puis il ajuste tout le texte aux nouvelles dispositions. L'allusion à « un autre gouvernementqui sortirait de la panique » disparaît, et fait place à « Il (le Premier ministre) me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du gouvernement. »
Sur le référendum, déjà abandonné, il n'y a pas grand-chose à changer, sauf à être plus net encore. On sort du possible ou du probable : « Je constate que la situation actuelle empêche matériellement qu'il y soit procédé. » Mais justement parce qu'on y renonce dans le moment, il importe de préciser qu'on n'y renonce pas dans le principe ; donc : « C'est pourquoi j'en diffère la date. » Les rédactions précédentes comportaient un certain flou : cette fois, c'est clair, le référendum n'encombrera pas le dénouement de la crise. Mais il demeure dans la perspective, pour traiter le mal français au fond.
La phrase sur les élections législatives (« Ce serait d'ailleurs la même chose pour des élections législatives ») pourrait purement et simplement passer à la trappe. Mais le Général a le souci d'enchaîner avec ce qui suit, c'est-à-dire l'évocation du peuple français bâillonné. Magistralement, il rebondit sur la question du délai : « Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu'on entende bâillonner le peuple français, etc. »
« Un pouvoir qui s'imposerait dans le désespoir national »
Le Général a encore un peu de temps pour améliorer son texte. Il aime écrire. Il a beaucoup écrit. Il est un homme de l'écrit. Et pourtant, il peine. « Je me donne un mal de chien. » Il recherche sans cesse la propriété et la concision de l'expression. C'est une souffrance et une jouissance.
Pouvait-il dire que le parti communiste n'était qu'une entreprise totalitaire ? Il est bien d'autres choses encore. Le ne que est de trop : « un parti qui est une entreprise totalitaire ». Cela suffit bien.
Le Général revient sur l'aide qu'apportera l' « action civique ». Aide
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