C'était de Gaulle, tome 3
aux préfets ? Cela ne suffit pas. Il rajoute : « pour aider le gouvernement d'abord, puis localement les préfets... ». Le gouvernement demeure l'impulsion première, et c'est le sommet d'abord que la base doit conforter.
Au fil des versions, il a tourné autour de la relation à exprimer entre le pouvoir qui se substituerait au sien et le désespoir. Sa première rédaction a été la plus simple : « se résigner à un pouvoir
issu du désespoir national ». A-t-il pensé que ce désespoir conférait une sorte de légitimité ? Le texte dactylographié cherche au contraire à les opposer : « un pouvoir qui abuserait du désespoir national ». Mais c'est obscur : il en abuserait pour quoi faire ? Ce n'est qu'au dernier moment que de Gaulle trouve l'expression juste : « un pouvoir qui s'imposerait dans le désespoir national ».
Pouvoir d'usurpation, dont la source ne serait que l'usurpation, et auquel le désespoir national ferait cortège.
De Gaulle sent maintenant son texte. Il l'a rendu toujours plus incisif. Il repense à Mitterrand, à Mendès, à Lecanuet qui s'apprêtent déjà à la curée. « Politiciens au rancart », oui, bien sûr. Cela portera. Mais il faut enfoncer le clou : ces politiciens, masque du communisme, en seraient bientôt les victimes : « Après quoi ces personnages ne pèseraient plus que leur poids qui ne serait pas lourd. »
Ce qui frappe, c'est la continuité de la réflexion. L'objectif premier reste le premier : que le peuple se ressaisisse et se manifeste, sans délai. Toute la réflexion sort du constat que le recours classique au scrutin, référendaire ou électoral, est bouché par la situation révolutionnaire. Son référendum ne pourra pas dénouer la crise, il le sait. Il n'a aucune prévention contre l'idée de recourir à des élections législatives. S'il écarte cette éventualité, ce n'est évidemment pas parce que l'Assemblée n'a pas voté la censure, argument de façade. Ce n'est pas non plus parce qu'il se méfierait des législatives par principe. C'est parce qu'il ne les croit pas davantage matériellement organisables que le référendum. Mais quand Pompidou lui explique que ni les tenants de la IV e ni les communistes ne peuvent faire obstacle à des élections législatives, qu'ils les ont réclamées, qu'ils les sacralisent, qu'ils ne peuvent donc s'y dérober, le Général se laisse aisément convaincre. Il est prompt à saisir que les élections législatives sont un piège que les opposants ont bâti de leurs mains et qu'il peut les y enfermer. Il est heureux de voir s'ouvrir une possibilité de recours au peuple.
L'analyse aux rayons X des textes le montre lumineusement, comme elle peut montrer la patte d'un maître sur un tableau obscurci. Pompidou n'a pas eu à faire changer d'avis le Général sur le référendum. Ce qui n'a pas empêché le Général de l'écouter attentivement, comme si sa décision n'était pas prise. C'était bien dans sa manière et cela a pu laisser dans l'esprit de Pompidou l'impression et l'illusion qu'il l'avait emporté sur ce point aussi.
En revanche, c'est bien lui et lui seul qui a fait comprendre au Général que le sabotage redouté pour le référendum n'était pas à craindre pour les législatives. Je doute que pour le convaincre il ait eu à « lui mettre le marché en main ». Le recours aux législatives s'inscrivait tout naturellement dans le schéma du Général, tel qu'il l'avait dessiné de premier jet à Colombey. C'est une modification facile et utile du dispositif tactique, une manoeuvre habile qu'il fait sienne.
Mais la stratégie reste la même, celle d'un combat pour reconquérir dans le moment la confiance du pays. Sans attendre les échéances électorales, que les délais constitutionnels renvoient à plusieurs semaines. Avec les atouts dont il dispose immédiatement : son charisme de chef, qu'il sent revivre en lui ; son Premierministre, dont il découvre qu'il a un charisme propre et qu'il associe spectaculairement au combat à mener ; la Constitution, dont les ressources sont inépuisables ; des adversaires, qui ont commis l'erreur de se montrer et évoquent une alternative médiocre ou inquiétante ; une armée sans états d'âme ; des Français atteints dans leur vie quotidienne par un désordre qu'ils refusent de tout leur instinct.
Cette stratégie est celle du «référendum» immédiat. Deux heures plus tard, la manifestation des Champs-Élysées, en lui offrant la plus belle et
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