C'était de Gaulle, tome 3
n'est parti qu'une fois, en 46, et il a vu ce qu'il lui en coûtait. Vous ne croyez pas qu'une fois de plus, c'était : "Retiens-moi ou je fais un malheur" ?
Pompidou. — Je crois bien que, cette fois, c'était pour de vrai... À en croire Massu, en tout cas, qui est le mieux placé pour en parler. Et aussi à la façon qu'il a eue de me laisser dans le pétrin sans avoir mis personne au courant... Vous vous rendez compte de la situation où je me trouvais ?
AP. — Mais quelques heures plus tard, vous étiez rassuré.
Pompidou. — J'étais rassuré pour la France. Mais mettez-vous à ma place ! Imaginez les heures que j'ai passées ! Le matin, il me téléphone en me disant : "Je vais me reposer à Colombey. Vous représentez l'avenir. Je vous embrasse." Et là-dessus, il file chez Massu ! Vous trouvez que c'est acceptable ? J'étais décidé à lui donner ma démission. Je ne pouvais pas accepter qu'il me mette devant le fait accompli... Quant au bruit qu'on a fait courir le 29 mai, selon lequel j'aurais souhaité le départ du Général, c'est absurde ! Je ne pouvais agir que sous son couvert. Il était indispensable qu'il me donne, en restant en fonction, les moyens de reprendre la situation en main. Sinon, tout s'effondrait, c'était la rue qui gagnait. »
Pompidou : « Mitterrand avait commis la faute irrattrapable »
Il mastique quelques instants en silence entre ses puissantes mâchoires, avant de poursuivre :
Pompidou : « J'ai senti que les choses tournaient quand Mitterrand a annoncé sa candidature, selon une procédure qui était un coup d'État. Il avait commis la faute irrattrapable. J'ai dit le soir même au Général : "La partie est gagnée." Il m'a répondu : "Vous êtes bien optimiste depuis le début." Je lui ai dit : "Mon optimisme était justifié ! Je vous avais annoncé que l'opinion allait se retourner en notre faveur. Elle s'est retournée. Je vous avais annoncé que nous aboutirions à un accord avec les syndicats. Je l'ai obtenu. Séguy et Frachon ont fait l'erreur de ne pas préparer la foule chez Renault, mais je n'y peux rien." Le Général a bien dû le reconnaître.
AP. — Quand même, la frousse qu'il a communiquée aux Français par sa disparition le 29, puis son allocution le 30, ont bien contribué à retourner la situation.
Pompidou. — Évidemment. Mais le Général n'a fait que prendre acte du retournement qui se produisait déjà.
De Gaulle à Pompidou : « Alors, vous êtes content ? »
« Quand j'ai mis le marché en main à de Gaulle pour qu'il renonce au référendum et le change en élections législatives, le Général a corrigé le brouillon de son allocution, puis il me l'a tendu et me l'a fait lire : " Alors, vous êtes content ? " J'ai répondu : "Oui, je suis content", et nous avons souri tous les deux. J'ai le sentiment d'avoir, ce jour-là, sauvé la République. Nous allions vers un désastre au référendum, sur le thème : "Plébiscite bonapartiste !" Et nous sommes allés à un triomphe avec les élections, contre lesquelles personne ne pouvait s'élever.
AP. — Sauf les révolutionnaires, avec leurs slogans : "élections-trahison", "élections-piège à cons". »
Curieux : le Général ne m'a jamais parlé depuis lors, ni n'a jamais parlé à personne à ma connaissance, d'une pression que Pompidou aurait exercée sur lui le 30 mai en le menaçant de sa démission. Mais il a fortement insisté devant moi sur la pression que Pompidou avait exercée sur lui le 11 mai, en le menaçant de démissionner s'il n'acceptait pas la « capitulation sans condition ». Inversement, Pompidou ne m'a jamais parlé — et je ne crois pas qu'il en ait parlé à son cabinet — d'une menace de démission qu'il aurait proférée auprès du Général le 11 mai, mais il a insisté sur celle qui lui avait permis de faire prévaloir le 30 mai son souhait d'élections.
Qui croire ? Tous les deux, chacun insistant, comme il est naturel, sur ce qui le valorisait davantage et évitant de souligner ce qui pouvait valoriser son partenaire.
Pompidou : « On continue à parler de participation sans savoir ce que ça signifie »
La conversation se tourne vers le présent. On sent Pompidou à l'affût des erreurs et des difficultés. S'il est sans pitié pour Couve, ce n'est pas pour épargner le Général.
Pompidou : « La politique n'est pas conduite. On a diminué les exonérations de droits fiscaux sur les successions, tout en supprimant le contrôle des changes.
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