C'était de Gaulle, tome 3
l'entourage.
« Pour l'autorité, c'est évident, il faudrait donner aux recteurs, aux chefs d'établissement, le sens et les moyens de l'autorité. On n'en prend pas le chemin. On les décourage. Pourtant la loi est bonne, puisqu'elle décentralise. Il faudra créer des moyens d'autorité sur le terrain, et peut-être la loi produira-t-elle son effet. On verra bien à l'expérience.
« Pour l'orientation : il faudrait la faire, je l'ai assez dit depuis assez longtemps, mais pour cela il faut que les professeurs veuillent la faire. Or ils ont peur des responsabilités, ils en ont horreur. Ils n'aiment pas faire passer des examens, ils n'aiment pas faire de la peine à quelqu'un. C'est une lâcheté de tous les instants. Alors, comment voulez-vous orienter avec des cocos pareils ? Pour orienter, il faut du caractère. C'est ce dont ils manquent absolument.
« Pour la sélection : c'est la même chose. Je suis bien d'accord qu'il faut en venir là, je suis bien d'accord que c'est là le grand problème. Mais comment l'imposer si le corps enseignant n'en veut pas et recule devant l'obstacle ?
« La loi est ce qu'elle est. Tout est dans l'application maintenant. Et pour l'application, votre commission peut faire beaucoup. Elle a déjà fait beaucoup pour la mise au point du texte. Elle est très bien informée. Elle sait ce qui se passe sur le terrain. Elle doit peser de tout son poids sur la marche des affaires et sur Edgar Faure lui-même. Il faut qu'elle lui mène la vie dure, l'oblige à aller de l'avant, à appliquer la loi dans l'esprit dans lequel elle a été votée.
AP. — C'est d'autant plus facile que, pour la première fois dans notre histoire parlementaire, la majorité absolue est détenue par un seul groupe. Ce groupe peut travailler sans démagogie. Bien sûr, il y a dans cette majorité des conservateurs, mais il faut aussi tenir compte de ce point de vue. Un équilibrage raisonnable des points de vue peut s'opérer.
GdG (songeur). — On va voir tout ce que cela donne. J'ai été favorable à la loi d'orientation car elle décentralise. Elle fait régler les problèmes sur le terrain par ceux qui les connaissent. C'est un bon principe. Il reste à savoir comment on l'appliquera ; et puis c'est nécessaire mais pas suffisant ; nous verrons bien, nous aurons l'oeil.
« Nous sommes emprisonnés dans l'Histoire »
AP (encouragé par cette relance). — Mais au fond, il n'y a pas trente-six systèmes. Si on veut que l'État exerce une autorité centralisée, hiérarchisée, ça peut marcher dans l'armée ou ça peut marcher dans une dictature, mais ça ne peut pas marcher dans un système comme le nôtre, dans un pays individualiste comme le nôtre, avec un corps indiscipliné comme notre corps enseignant. Alors je ne vois qu'un système : celui des Américains ; concurrentiel, autonome. Car la loi de la compétition et de la survie par la lutte pour la vie, c'est une loi naturelle plus rigoureuse, plus inexorable que les commandements de l'État ne sauraient l'être.
GdG. — Je suis bien d'accord avec vous, mais comment faire ?
AP. — Il faut déléguer et privatiser au maximum. L'État est trop impuissant car il est trop puissant. Il veut tout faire, se mêler de tout, gérer directement, alors qu'il en est incapable. Il devrait se contenter de définir les grandes options, d'assurer une régulation, de faire face aux urgences. Tout ce que le secteur privé peut faire, il faut le lui laisser faire puisqu'il le fait mieux que l'État.
« Daniel Johnson, quand je suis allé le voir au Québec, m'a dit : " Vous avez beaucoup de choses à nous apprendre, mais il y en a une que nous pouvons vous apprendre, c'est le téléphone. Au Québec, on n'attend pas le branchement d'une ligne pendant deux ans, ni pendant deux heures une communication comme chez vous où en plus on entend mal. Laissez-nous faire nos preuves dans un département. Et trois mois plus tard votre problème du téléphone sera réglé. De même pour les autoroutes et les entreprises nationalisées ; il faut sous-traiter au secteur privé tout ce qui peut l'être " 1 .
GdG. — Oui sans doute. Mais nous sommes emprisonnés dans l'Histoire. Pour que cela marche, il nous faudrait des industriels qui acceptent de mettre leurs capitaux en jeu. Nous ne les avons pas,ces capitalistes-là ! Rappelez-vous : les Chemins de fer de l'Ouest ont été nationalisés dès avant la guerre de 14, parce qu'aucune compagnie privée ne voulait s'en
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