C'était de Gaulle, tome 3
quart. L'économie a été flanquée par terre pour des années. Il est des circonstances où il faut savoir endurer, tenir bon. On ne l'a pas fait.
« Pompidou a fait de ce lâchage une condition sine qua non »
« Écoutez, je vais vous dire le fond de ma pensée : Pompidou est arrivé d'Afghanistan, il a fait de ce lâchage une condition sine qua non . Il a mis sa position en balance ; il a absolument exigé cette ouverture de la Sorbonne. Il est évident qu'une fois la Sorbonne occupée, les usines et les administrations n'allaient pas tarder à l'être. Pourquoi les étudiants auraient-ils été les seuls à obtenir desavantages du gouvernement ? Le gouvernement était en difficulté, il le prouvait en capitulant, il fallait en profiter pour se ruer sur lui.
« Je vais vous dire le fond de ma pensée (il se répète, parlant avec gravité et lenteur) : le sens de l'État, personne en France ne l'a. Moi, je l'ai ; enfin, je l'ai de temps en temps. Je le manifeste de temps en temps, quand cela va trop mal, mais en dehors de moi personne n'essaie, et c'est bien là le problème ! »
Que les plaies sont vives encore ! J'essaie de l'entraîner sur un terrain moins personnel, et de lui soumettre les convictions que la crise de Mai n'a pu que faire mûrir en moi.
AP : « Mais il n'est pas possible de laisser les choses dans un état tel que vous soyez le seul à pouvoir les maîtriser. Il faudrait que la France devienne majeure, de manière à ne plus avoir besoin d'un tuteur de votre taille. Il faudrait donner aux Français de plus en plus de responsabilités, en les enlevant de plus en plus à l'Etat qui n'a pas la force de les porter, et alors le meilleur pourrait sortir du pire. L'essentiel maintenant, ce sont les réformes que vous pourrez faire grâce à la secousse de Mai et que vous n'auriez pas pu faire à cause de la coalition des conservatismes. Sans cette secousse, la participation...
GdG (m'interrompant). — Ouais, ouais, mais cela ne réglera pas tout.
AP. — Nous avons procédé, dans ma commission, à de nombreuses auditions. Patrons et ouvriers ne veulent pas de la participation, mais...
GdG. — Les ouvriers, si. Ce sont les syndicats qui ne veulent pas.
AP. — Oui, c'est ce que je voulais dire. Tout ce qui est organisé n'en veut pas, mais les hommes de la base en voudraient bien.
(Je le sens las, tout à coup. Il se lève sans répondre et me raccompagne lentement.)
GdG. — Je suis content de vous avoir vu, il faudra que je vous revoie bientôt et de temps en temps. Entre-temps, faites-moi donc des notes pour me tenir au courant de ce que vous pensez. »
1 Je lui répète ce message que j'ai déjà tenté de faire passer (voir supra , I re partie, ch. 7, p. 66). La réaction est toute semblable.
2 Cette réflexion sera interrompue par le travail sur Quand la Chine s'éveillera (1973) et reprise ensuite (Le Mal français, 1976).
Chapitre 9
« LE SÉNAT, C'EST LA FRANCE DU SEIGLE ET DE LA CHÂTAIGNE »
De Gaulle a lancé son référendum sur les régions et sur la réforme du Sénat qui en est la conséquence, ou plutôt l'occasion 1 . Car cette réforme, combien de fois m'a-t-il dit qu'il la ferait ! J'ai le temps, pendant que roulent les dés, de consulter mes notes.
Salon doré, après le Conseil du 4 septembre 1963.
GdG : « Il faut que le Conseil économique et social croisse et que le Sénat décroisse, c'est dans l'ordre des choses. Le Conseil économique et social doit éclairer l'action en matière d'économie et de progrès social. C'est à la lumière de ses discussions que le gouvernement doit prendre ses décisions, l'Assemblée voter ses lois, le commissariat au Plan fixer ses plans. Il faut d'autre part qu'il s'articule sur les comités régionaux et qu'il contribue ainsi à la grande tâche de l'aménagement du territoire. Les régions sont la grande collectivité territoriale de demain. C'est le Conseil économique et social qui va fédérer leurs aspirations.
« On m'aurait jeté dans la Seine »
« Mais il faut éviter soigneusement qu'il ne se politise. C'est pourquoi il n'est pas souhaitable que le Sénat absorbe ce Conseil économique et social : il le corromprait, il lui donnerait les vices parlementaires. Il vaudrait mieux mettre fin au Sénat. Ce n'est pas pressé : nous avons pris les moyens nécessaires pour le rendre inutile. L'opinion s'habitue à ce qu'on ne parle plus du Sénat et c'est ce qui peut arriver de mieux.
AP. — En somme, vous
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