C'était de Gaulle, tome 3
des mesures qui avaient une allure vexatoire, comme dit le ministre de l'Agriculture. J'ai fait fermer les portes à 9 heures, et tant pis pour les retardataires. La situation s'est aussitôt améliorée. Ce qui est vexatoire, c'est que le contribuable paie et que le fonctionnaire ne vienne pas ou ne soit pas à l'heure.
Pompidou. — La réforme des quarante-cinq heures a été bonne, puisque les syndicats ont protesté contre l'augmentation du temps de travail. Mais elle est conditionnée par l'installation de cantines.
Marette. — Il faut transformer les cantines en self-services. Sinon, le service à table rallonge le repas d'une heure.
GdG. — Je ne vois pas comment vous obligeriez les gens à manger en une demi-heure.
« La réalité, c'est que vous avez trop de monde dans vos administrations centrales. Ils n'ont pas assez à y faire. Ils ne voient pas pourquoi ils sont là.
« Sans aller jusqu'à l'histoire de Clemenceau qui, visitant les bureaux de son ministère et n'y rencontrant personne, sauf un unique employé et qui dormait : "Ne le réveillez pas, dit-il en chuchotant, il s'en irait ! "
« Le véritable critère de cette réforme : qu'il n'y ait dans les ministères que ceux qui ont à y travailler. Il faut affirmer votre autorité. Il faut contrôler vos dépenses de personnel d'administration centrale. Il faut faire la chasse au foisonnement. Voilà les points sur lesquels devra porter votre réforme. Sinon, elle ne servira à rien, sauf à supprimer la matinée du samedi ! »
De Gaulle, lui aussi, avait ses tonneaux des Danaïdes.
Chapitre 12
« VOUS ME VOYEZ INSTALLER MITTERRAND À MATIGNON ? »
À bord du De Grasse, 10 septembre 1966.
Le croiseur De Grasse vogue sur les eaux lumineuses du Pacifique. C'est le deuxième jour de notre croisière autour de Mururoa. L'explosion aurait dû avoir lieu ce matin, mais la météo a obligé à la décommander : le vent soufflait trop fort. Ce sera demain et nous avons une grande journée de vacances. Sur le pont étroit que les exigences militaires concèdent aux hôtes que nous sommes, le Général, Messmer et moi, je suis seul, un livre à la main. Je savoure le moment.
Un bruit de pas. C'est le Général, qui a dû vouloir prendre l'air, suivi de son aide de camp. Je me lève aussitôt. Le Général fait quelques pas, face à l'Océan, puis vient s'asseoir sur le même banc et m'invite à me rasseoir. L'aide de camp s'éclipse discrètement.
Me traverse l'esprit l'image de De Gaulle sur un autre bateau, en 1940, en septembre aussi, face à Dakar. Bateau anglais, tragédie française. Comme cela paraît loin, en cet instant exquis, où je sens le Général serein.
« Pourquoi renvoyer une Assemblée où il y a une majorité ? »
Mais le démon de l'interrogation me tient.
Avant le départ, Roger Frey m'avait recommandé de vanter au Général, si je le trouvais détendu au cours du voyage, les avantages d'une dissolution de l'Assemblée à l'automne. Il avait lui-même essayé de lui glisser l'idée, mais sans succès. Or, il avait découvert une sorte de loi naturelle : depuis le début de la III e République, la majorité en place gagnait les élections à l'automne et les perdait au printemps. A l'automne, les citoyens sont inquiets de l'hiver qui vient et ont des réflexes conservateurs : on vote pour les sortants. À l'approche du printemps, la sève monte, on se croit tout permis, on sort les sortants.
Comme pour le distraire, je développe cet argument auprès du Général et conclus : « Ne seriez-vous pas tenté de dissoudre l'Assemblée dans quelques semaines ? Vous prendriez l'opposition à contre-pied, vous abrégeriez la fin de législature, toujours pénible. Vous introduiriez en France les traditions anglaises, qui donnent à l'exécutif la faculté de procéder à la dissolution au moment le plus favorable pour lui. »
J'avais fait en vain une suggestion au Général du même ordre au lendemain de sa réélection 1 . Une fois de plus, j'en suis pour mes frais.
GdG : « Quelle idée ! Les Français ne comprendraient pas. Nous ne sommes pas l'Angleterre. Il n'y a vraiment pas de raison d'écourter le mandat. La dissolution est une arme précieuse qu'il ne faut pas émousser. Pourquoi renvoyer une Assemblée où il y a une majorité et essayer de la remplacer par une Assemblée où il n'y en aurait peut-être pas ? L'opposition ferait sa campagne contre cette décision injustifiée. Elle pourrait bien entraîner la
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