C'était De Gaulle - Tome I
affaires de la France n'ont jamais été en si bon état. Ça m'a étonné quelque peu, moi aussi, bien que je les connaisse pour ce qu'ils sont.
Pompidou. — En fait, cette campagne amorçait la mort des partis. Ils s'en sont aperçus.
Joxe. — C'est comme les passagers du Titanic pendant qu'il coule : encore un instant de bonheur.
« En 1958, j'avais sauvé les partis »
GdG. — En 1958, j'ai eu un cas de conscience. Ou bien laisser faire : les paras à Paris, les parlementaires dans la Seine, la grève générale, le gouvernement des Américains; c'était écrit sur le mur. Il serait finalement bien arrivé un moment où tout le monde serait venu chercher de Gaulle, mais à quel prix ? Alors, j'ai préféré intervenir à temps pour empêcher le drame. Il a été évité. Mais j'avais sauvé les partis.
« Toujours, jusqu'ici, il y avait eu confusion. Les partis disaient oui et non à la fois. Ils m'approuvaient du bout des lèvres, ou ils essayaient de me torpiller tout en faisant semblant de me soutenir. Maintenant, ils ont tous dit non sans équivoque. Mais je les croyais moins acharnés. »
Après un temps : « Le rétablissement de l'ancien régime est-il possible si les élections législatives ont un résultat fâcheux et entraînent le départ de De Gaulle ? Je doute un peu que ce soitpossible. Je ne veux pas croire qu'ils auront le peuple derrière eux ! Mais qui sera capable de gouverner ?
Triboulet. — Les partis seront déçus s'ils reculent par rapport à la précédente composition de la Chambre. Je crois bien que c'est ce qui va arriver.
GdG. — Il y a deux questions différentes qu'il ne faut pas confondre. D'abord, il y a les places. Pour cela, les partis sont remarquablement efficaces : ce sont des organisations professionnelles pour la conquête des places. Et puis il y a la politique, c'est-à-dire les possibilités d'action. Les partis ne comprendront jamais ce qui doit être fait dans l'intérêt de la France. D'ailleurs, ça ne les intéresse pas. Ils ne sont pas faits pour ça.
Giscard. — Il n'y a pas intérêt à ce que les élections soient magnifiées. Ce serait une erreur d'y rechercher la confirmation du référendum. Il faut et il suffit que le gouvernement désigné au lendemain de l'élection ait une majorité d'investiture.
GdG. — Il n'y a pas d'investiture dans notre Constitution !
Giscard. — Le chiffre intéressant, ce n'est pas 62 % de oui, c'est 38 % de non. Ce qui représente un pourcentage d'influence très restreint pour une coalition aussi gigantesque. À Clermont-Ferrand, les ouvriers, qui votent communiste ou socialiste de manière homogène au premier tour, que ce soit pour les élections législatives, municipales ou cantonales, ont voté oui à 28 000, et non à 20 000, ce qui prouve que l'emprise des partis tend à se desserrer. D'ailleurs, personne n'a osé formuler une interprétation du référendum comme étant un succès du non. Tous les leaders se sont abstenus de dire : de Gaulle doit s'en aller. En fait, personne ne se sent la capacité de prendre votre succession. »
« Les partis vont avoir une majorité écrasante »
Le Général se lève. Les ministres s'ébrouent. Il s'attarde, dit un mot à tel ou tel. En arrivant au bout de la pièce, il s'arrête près du petit groupe que nous formons, Roger Frey, Grandval, Missoffe et moi. Est-ce la vue de son ministre de l'Intérieur qui le déclenche ? En tout cas, il nous prend de court, en se lançant dans un effrayant numéro de pessimisme :
« C'est fichu ! Les partis ont réussi à faire 38 % dans un référendum où la question posée aux Français était toute simple : "Voulez-vous ou non élire vous-même votre Président ?" C'était clair comme la lumière du jour. La réponse aurait dû être massive. Or, il n'y a pas même un inscrit sur deux pour répondre oui. Ça prouve que les partis, les comités et les comitards ont repris du poil de la bête. Alors, vous pensez que, pour les élections, ils vont s'en donner à cœur joie. Ils sont faits pour ça. Ils ne savent faire que ça. Pour ça, ils sont imbattables. Nous nesommes pas implantés comme eux sur le terrain. Il nous faudrait des dizaines d'années. Ils vont avoir une majorité écrasante ! Après avoir été à demi désavoué par le référendum, je le serai complètement par les élections ! Comment voulez-vous que je gouverne ? Si le référendum et la dissolution n'ont pas marché, il ne me restera plus rien.
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