C'était De Gaulle - Tome I
supprimer le Sénat en tant que chambre politique et à le transformer en une chambre économique et sociale. Ce qu'il essaiera sans succès six ans et demi après.
Il a clos le Conseil par une boutade, à propos de la campagne en cours pour les élections législatives, qui n'ont même pas été évoquées. Il avait mis sa coquetterie à ne pas les faire figurer à l'ordre du jour et à ne laisser personne en parler, comme pour montrer qu'une campagne électorale n'est pas chose digne des délibérations d'un gouvernement, celui-ci dût-il y laisser sa peau :« Je sais que certains ministres sont engagés dans la bataille. C'est comme à la chasse. J'ai vu, je ne dis rien.»
(En 1959, à la veille de mon départ pour l'ONU, il avait déjà utilisé cette expression devant moi, au lieu de dire : « Bonne chance ! », formule qui passe pour porter malheur. Est-ce par superstition qu'il a recours à cette périphrase, ou plutôt pour respecter, comme le veut le bon usage, le droit d'un interlocuteur à être superstitieux ? Lui, si riche de formules dans ses textes écrits, si acharné à pourchasser les redites, il a un vocabulaire familier qui lui est particulier, mais qui, étant forcément plus limité que le dictionnaire de la langue littéraire, ne peut évidemment exclure la répétition.)
« Faites respecter votre oui »
12 novembre 1962.
Il « ne dit rien », mais il dit beaucoup, par comparaison avec les précédentes élections. En octobre 1958, il interdisait aux candidats de l'UNR, dans leur propagande, « de se servir de son nom, fût-ce sous la forme d'un adjectif ». Maintenant, juste quatre ans après, comme il a changé ! Il admet que la campagne du référendum et la campagne législative doivent ne faire qu'un. « C'est la bataille du régime.» Pour faire évoluer la V e République jusqu'à un point de non-retour, il joue le tout pour le tout : « Si les élections sont gagnées, la V e République sera implantée et survivra à son fondateur. Si elles sont perdues, elle sera balayée et on retombera dans la IV e , c'est-à-dire dans le chaos. »
En 1958, il ne voulait pas savoir comment se préparaient les investitures de l'UNR. Il croyait que cette nouvelle formation ne compterait qu'une quinzaine d'élus, comme les républicains-sociaux en 1956, ou tout au plus le double. Il souhaitait la victoire des socialistes et fut navré de leur défaite. Une majorité socialiste lui aurait permis d'imposer plus vite sa volonté aux militaires et aux partisans de l'Algérie française. Je me suis souvent demandé s'il ne pensait pas aussi qu'elle lui aurait permis de forcer plus vite la main de Debré, peut-être même de se passer de lui. Georges Pompidou, dans son bureau de directeur de cabinet à Matignon, répétait, la mine longue, à mesure qu'arrivaient les résultats : « C'est une catastrophe.» Après le premier tour, le Général avait même obligé des candidats gaullistes, bien placés pour gagner au second, à se retirer en faveur de caciques socialistes, à commencer par ses ministres, tel Guy Mollet, virtuellement battu.
Pour cette deuxième législature, au contraire, il met la main à la pâte. C'est lui-même qui choisit Louis Terrenoire comme secrétaire général de l'UNR pour distribuer les investitures etorganiser la campagne, entouré d'Olivier Guichard, Roger Frey et Jacques Foccart, contrôlés par Pompidou. C'est le Général, affirment-ils, qui a, sinon trouvé, du moins choisi, le slogan : « Faites respecter votre oui. »
Pourtant, au début, le Général était sur le reculoir. Pompidou m'a révélé qu'il l'avait poussé à s'engager à fond : s'attendant à une défaite, le Général entendait s'en mêler moins encore que des législatives de 1958. Persuadé par Roger Frey que les élections seraient excellentes, Pompidou a pressé le Général de prendre position en faveur des partisans du oui : il assiérait ainsi son autorité sur une majorité compacte qui lui devrait son existence. Le Général a fini par entrer dans ces vues.
« Le Général doit renoncer à son utopie unanimiste »
Matignon, 18 novembre 1962. Soir du premier tour des législatives.
« Nous faisons prendre un tournant au régime, me dit Georges Pompidou, tandis que s'amoncellent les résultats inespérés : dorénavant, la majorité présidentielle et la majorité législative devront coïncider. Le Président ne peut pas exercer ses fonctions s'il n'a pas une majorité pour le soutenir.
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