C'était De Gaulle - Tome I
fait la France ?... Aimez-vous la République ?
GdG. — Je n'aime pas la République pour la République, mais puisque les Français y adhèrent, il faut bien y adhérer. Ils n'imaginent pas de vivre autrement qu'en République. »
Je ne suis pas sûr que le Général n'ait pas été, comme sa mère, « monarchiste de regret ». Pourtant, il a opté en entrant dans l'armée : sa conduite serait républicaine. C'était le régime de la France. Il a été républicain en homme d'honneur, sinon en homme de conviction. En tout cas, il croyait au peuple, autant que Michelet et qu'aucun républicain.
« La France ne fait pas la cour aux autres »
Au Conseil du 8 août 1962, Couve : « Le gouvernement jordanien a formulé la demande de reprendre des relations diplomatiques avec la France. Je propose la nomination de Roger Lescot, qui parle parfaitement l'arabe. »
Le Général grogne : « C'est bien hâtif.
Couve. — Nous ne nous sommes pas pressés.
GdG. — Vous dites que vous ne vous êtes pas pressé, mais vous n'avez pas beaucoup tardé non plus.
Couve. — Un mois.
GdG. — La France ne se précipite pas. C'est une grande dame qui ne fait pas la cour aux autres. Ce sont eux qui la lui font. »
Au Quai d'Orsay, on se délectait à conter les occasions où de Gaulle avait fait preuve de la plus grande superbe. En février 1945, Roosevelt, au retour de Yalta, lui avait proposé de le rencontrer à Alger. De Gaulle s'apprêtait à répondre fièrement qu'il « se félicitait d'apprendre que le Président se proposait de visiter un port français », mais qu'il « ne pourrait l'y accueillir,
n'ayant pas eu le temps de se préparer à cette rencontre ».
Avant que la rebuffade fût consommée, Georges Bidault s'était rendu au ministère de la Guerre pour obtenir du Général qu'il revînt sur son intention, de manière à éviter de heurter nos puissants alliés. Le Général avait écouté son ministre des Affaires étrangères sans un mot, s'était levé, l'avait raccompagné et, sur le pas de la porte, l'avait toisé : « Redressez-vous, Bidault ! »
Cet homme brillant, que la nature avait fait petit et voûté, en avait été durablement blessé. C'est ainsi que le Général, à la fois, se faisait des ennemis, et entretenait chez ses fidèles l'orgueil de la France.
À la direction d'Amérique, on gardait précieusement le dossier de Clipperton 2 . Cet îlot français désert, en plein Pacifique, au large des côtes du Mexique, avait attiré l'attention duGénéral qui, démuni comme il l'était à Londres, avait l'obsession de planter le drapeau à croix de Lorraine sur tous les territoires français qui s'y prêtaient. Ses tentatives sur Dakar, sur Saint-Pierre-et-Miquelon, sur la Syrie, sur Madagascar, sont célèbres. Nul n'a parlé de Clipperton. Il a pourtant envoyé un aviso pour en prendre possession au nom de la France libre. Qu'a constaté l'aviso? Sur l'épaisse couche de guano 3 qui recouvre cette île, on apercevait des traces de jeeps américaines. Le Général envoya une note vigoureuse au gouvernement américain pour protester contre cette violation d'un territoire français.
De longues années plus tard, cet incident diplomatique faisait encore ricaner quelques messieurs du Quai d'Orsay. Il n'était pourtant que la manifestation extrême d'une affirmation nationale, dans une vision planétaire. Mais qu'était d'autre le 18 Juin — face à des chefs qui demandaient l'armistice en croyant que la guerre était « hexagonale » ?
« La troisième réalité internationale, c'est la France »
Salon doré, 24 janvier 1963.
Le Général me dit : « Voyez-vous, nous avons choisi de fonder notre politique sur les réalités et non sur les apparences.
« Or, quelles sont les réalités ? D'abord, l'Amérique 4 . C'est un pays en expansion, qui cherche à maintenir et à confirmer son hégémonie en Occident. Les États-Unis sont sortis grands vainqueurs de la guerre. Ils pensent qu'ils réussiront toujours à mener le monde, comme ils l'ont fait depuis 45. Ils veulent maintenant fabriquer une « force multilatérale » pour camoufler cette hégémonie sur le plan nucléaire, comme ils avaient déjà fabriqué l'OTAN en 1949 pour camoufler leur hégémonie sur le plan conventionnel. Les Anglais seront leur cheval de Troie en Europe. Pour cela, il suffit que la Communauté européenne s'ouvre au monde anglo-saxon ; moyennant quoi, ils y feront la loi. C'est une histoire éternelle. Chaque
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