C'était De Gaulle - Tome I
législative, vous seriez là pour dix ans — soit qu'on calcule en deux législatures, cinq plus cinq; soit en septennats : trois ans pour la fin de l'actuel, plus sept ans. »
Le Général rit de bon cœur. C'est rare. Le plus souvent, il ne rit que de ce qu'il dit lui-même, de manière à entraîner son interlocuteur : homme d'action jusque dans la gaieté.
III
« LA FRANCE EST MAINTENANT SOUVERAINE »
Chapitre 1
« LES FRANÇAIS ONT BESOIN D'AVOIR L'ORGUEIL DE LA FRANCE »
Aucune formule du Général n'a eu autant de fortune que : « Je me suis toujours fait une certaine idée de la France. » J'ai eu la surprise, en lisant les Cahiers de Maurice Barrès, de constater que l'expression avait été inventée trente-quatre ans plus tôt 1 . Nos réminiscences nous révèlent autant que nos trouvailles.
Préfecture de Limoges, 20 mai 1962.
AP : « Pourquoi la France a-t-elle besoin d'être grande pour être elle-même ?
GdG. — Parce que les Français ont besoin d'avoir l'orgueil de la France. Sinon, ils se traînent dans la médiocrité, ils se disputent, ils prennent un raccourci vers le bistrot !
AP. — Mais pourquoi elle, spécialement, a-t-elle tant de mal à tenir debout, à vivre dans son temps, à se moderniser ? Pourquoi le recours aux procédés rationnels qui suffisent à d'autres ne lui suffit-il pas ?
GdG. — Si on ne lui propose pas des buts élevés, si elle n'a pas le sentiment de sa dignité et de sa noblesse, elle se traîne dans une sorte de léthargie. En s'arrachant à la médiocrité, elle a de grandes capacités. »
La destinée avait lancé au Général un tel défi qu'il s'en était senti transformé. Il entendait lancer à son tour à la France un défi auquel elle ne pût pas se dérober, et qui la soulevât au-dessus d'elle-même.
C'est en ce point que ce qui préoccupait le plus le Général recoupait ce qui m'intéressait le plus moi-même : la particularité française, la cohérence du phénomène national, l'art et la manière d'échapper aux fatalités internes de notre société.
« La France s'est vautrée dans sa bauge »
Je l'interrogeais souvent sur ce thème. Il voulait que la France épousât son temps : pourquoi en avait-elle divorcé ? Comment faire que ce mariage fût réussi ? Quels facteurs en assureraient la durée et la fécondité ? Quel progrès recherchait-il ? Pour quelle société, et pour quels hommes ?
Préfecture de Besançon, 17 juin 1962.
AP : « La France existera-t-elle toujours ?
GdG. — C'est probable. Mais ce n'est pas certain. Si elle n'a plus la dimension d'une grande puissance, si elle n'a pas une grande politique, elle n'est plus rien. Regardez le Portugal, il a été grand. Ce tout petit peuple a conquis le Brésil, les côtes d'Afrique, de l'Inde, de la Chine. Le Pape lui donnait la moitié du monde, en attribuant l'autre moitié à l'Espagne. Aujourd'hui, c'est un pauvre petit pays. La France va-t-elle décliner elle aussi ? Va-t-elle se portugaliser ? Pourra-t-elle remonter la pente ? Finira-t-elle par s'engloutir ? C'est la seule question. En mille ans d'histoire, elle a connu des hauts et des bas, elle a montré au monde qu'elle était un grand peuple, et elle s'est vautrée dans sa bauge. Ce que j'essaie de faire depuis un quart de siècle, c'est de pratiquer l'affirmation de la France au nom des Français. Pour le moment, ils me suivent. Je ne suis pas sûr qu'ils suivront toujours la même voie et qu'ils ne préféreront pas retourner dans le fossé.
AP. — Comment l'éviter ?
GdG. — Il faut faire confiance à leurs forces et les défendre contre leurs faiblesses. Ni les unes ni les autres n'ont guère changé, depuis que César les avait décrites. Leurs forces, c'est leur bravoure, leur générosité, leur désintéressement, leur impétuosité, leur curiosité, leur capacité d'invention, le don qu'ils ont gardé de s'adapter à des situations extrêmes. Leurs faiblesses, ce sont les clans, l'intolérance réciproque, leurs brusques colères, les luttes intestines, la jalousie qu'ils portent aux avantages que d'autres Français peuvent s'acquérir.
AP. — Un journaliste disait l'autre jour que vous aimez la France mais que vous n'aimez pas les Français.
GdG. — Ce qui est vrai, c'est qu'en face de la grandeur de la France, je rencontre souvent la petitesse des Français. Ils mijotent dans leurs petites querelles et font cuire leur petite soupe.
AP. — Ce sont quand même bien les Français qui ont
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